theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Jackie »

Jackie

mise en scène Anne Théron

: Elfriede Jelinek, son texte

Et puis il y a Elfriede Jelinek, écrivain autrichienne, dont l’écriture puissante, sèche et corrosive, dénonce depuis ses débuts les idéologies et les humiliations faites aux femmes, tant physiques que morales. On est saisi par la violence qui sous-tend le monologue de Jackie. Une fois de plus, Elfriede Jelinek explore la névrose et la brutalité, en mettant en évidence les rapports de forces socio-politiques et leurs répercussions sur les comportements sentimentaux et sexuels.


Un texte violent donc, mais également d’une effarante douceur : la parole d’une femme proche du pouvoir et pourtant soigneusement cantonnée à son rôle d’épouse. Une femme qui subit dans son corps les dérèglements de son mari, immédiatement harcelée par la mort de ses deux premiers enfants, subissant un univers morbide qui la poursuivra jusqu’au bout.


Jackie, selon Jelinek, c’est d’abord une femme qui crée son image. Ou la subit : « Je préfère être raccrochée à toutes ces images de moi et traînée derrière elles, ainsi je n’ai besoin de m’occuper de rien ». Mais elle dit également : « Je m’allonge dans ma forme, que mes vêtements m’ont forgée » Plus tard, elle dit encore : « C ‘était mon écriture, mes vêtements. (…) Les vêtements sont parfaitement morts, bien qu’ils semblent vivre sur moi. Ou est-ce moi qui vis grâce à mes vêtements ? (…) C’est pour cela que je me suis tellement intéressée à la mode. Elle est ce qu’elle est. Et l’être humain disparaît dedans. »
Création d’une nouvelle silhouette, d’une image, c’est ce qui sous-tend tout le monologue. Finalement, qui est Jackie Kennedy, on ne le saura jamais. On est face à une femme qui a révolutionné la silhouette – robes droites, courtes, taille gommée, qui lui donnent une ligne juvénile, parfois presque androgyne, en rupture avec le style de l’époque, robes plus longues, taille marquée, poitrine moulée -, et d’une certaine manière en créant son image s’est accouchée elle-même. Mais derrière cette image, qu’y a-t-il ? Elle dit d’elle-même qu’elle est ombre et que seule l’ombre survit alors que la lumière peut s’éteindre n’importe quand.
Car survivante, effectivement elle l’est. Le clan Kennedy est marqué par la mort, et Jackie déclare que le blanc est sa couleur préférée, qu’elle la partage avec la mort, le grand blanchissant.
Il y a donc le vêtement, avec l’idée paradoxale que de se créer une image, c’est pour mieux disparaître : « Je cherche à faire croire que je n’ai pas de corps en dessous ».
Il y a aussi cette obsession de la tenue, qui passe par l’obéissance à une caste : « Il faut que tu obéisses ! C’est seulement quand tu te feras remarquer partout que vraiment tu auras obéi. Blottis-toi contre la chair bien qu’elle soit avariée, le principal est qu’elle soit si richement garnie que la chair disparaisse en dessous. Pour ce qui est de la maîtrise de soimême, il n’y a meilleure éducation que celle que maman m’a donnée… »


Puis il y a ces substances illicites, qui justement permettent de se tenir et de briller : « Les drogues sont derrière nous, dressées comme des I. C’est vraiment injustes qu’on ne puisse les voir, qu’elle soient si proscrites les pauvres, qui confèrent à notre existence quelque chose de si merveilleux ! C’est vache ! Pendant toute une journée, on peut être éveillé et excité, et personne ne le remarque. Pendant des jours et des nuits, on peut être éveillé et injuste, et personne ne le remarque. Les drogues sont ce dont rêve l’humanité entière mais dont très peu de gens peuvent faire l’expérience. C’est bien comme ça. »


Pas de désir chez Jackie, pas de libido, un froid constat sur son époux : « Equitation, tennis, ski, c’est la manière dont je m’embrasse. Instantanément, Jack a commencé à importuner telle ou telle femme lorsqu’on lui tournait le dos, mais c’était à cause de la cortisone. Ça existe, sans que l’on ait besoin de lâcher la main de maman. Chaque jour, le Don Juan fait des progrès sans avoir pris de cours (…) Il saute sur chaque femme, mais ne saute sur aucune dispute avec moi. » La sexualité avec Jack, c’est une autoroute vers la mort : « Trop d’accouchements, dont plus de la moitié en vain. A quoi bon ! Expulsion prématurée ou mort d’enfant. Je ne me remettrai jamais de la mort de la petite Arabella et du petit Patrick, pas même dans l’éternité. (.) Mon mari souffrait d’une urétrite chronique – une infl ammation de l’urètre suite à une blennorragie. Sa maladie d’Addison en empêchait la guérison complète, son système immunitaire était affaibli. Lors de son autopsie, on a d’ailleurs décelé une infection aux chlamydiae. Elle se transmet uniquement par voie sexuelle, voyons de qui à qui selon vous ? » Mort des enfants, mort du mari, mort des beaux-frères.


Il reste le pouvoir ou, là encore, l’image du pouvoir : « Il faut être soi-même les pas que les gens entendent devant la porte, et qui les paralysent de peur. C’est cela le pouvoir. (…) Il n’est pas neutre le public. Il s’exprime expressément dans le but de devenir l’infl uence décisive, le mètre pour nous, les maîtres, qui nous jetons dans notre propre spectacle et souvent à côté parce que nous n’avons pas la bonne mesure. »


Image de femme dans une langue d’homme, on a du mal à y croire, pourtant cela résonne avec toute la force de l’écriture de Jelinek : « Une personne comme Plath ne sera jamais une icône, sauf pour des bonnes femmes abruties qui pensent avoir conquis leur propre intelligence. Ridicule. D’où pourrait-elle bien sortir ?! A quoi l’emploieraient-elles sinon pour des histoires de palier ? »
Une dernière phrase sur les femmes : « Cependant, à travers nous, les femmes, parle toujours, quoi que nous fassions, autre chose, qui malheureusement parle plus fort que tout, et cette chose est la mort. »

Anne Théron

septembre 2009

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.