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Iphis et Iante

mise en scène Jean-Pierre Vincent

: Note d'intention

Obscurité. Ondes sonores d’un voyage sidéral, mêlées peut-être de relents de Couperin ou autres, mais presque inidentifiables. Étoiles (filantes ?). Déesse qui s’envole : on devine ses pieds disparaître dans l’éther… Des cris dans le noir. Un homme crie – engueule sa femme ? sa famille ? Lumière. Un espace libre, un intérieur sans réalisme particulier. Une table qui se perd en coulisses. Une petite nappe au bout avec trois couverts et une soupière. Soupe à la grimace. L’homme qui crie fait les cent pas en tout sens, lourdement, avec de longs silences qui impressionnent. En bout de table, sa chaise est vide. Son épouse, destinataire de l’engueulade, fermée, mutique, a repoussé son assiette et ronge son frein, assise face à nous. Son mouchoir est déjà imbibé de larmes. De dos, un garçon – manifestement le sujet de l’engueulade - assis aussi, écoute en se balançant sur sa chaise au risque de tomber à la renverse ou de casser la chaise…


C’est de lui qu’on parle – la femme va répondre, faiblement – et lui, le garçon ne dira rien, longtemps. Le père fulmine : son fils aime une jolie fille, riche qui plus est. Alors pourquoi la mère ne veut-elle pas ? Pourquoi le gosse se tait ?…
C’est une pièce en cinq actes et en vers, ni comédie ni tragédie : un conte, une histoire à dormir debout.
Cela fut créé en 1634 à l’Hôtel de Bourgogne. Benserade, habile homme, a écrit plusieurs « tragédies » durant ces années 1630. Il n’était pas, disons-le, le plus grand poète du XVIe siècle, et c’est ici un gros avantage : nous avons pu élaguer librement les tirades trop discoureuses. Et cela finit par ajouter au texte une fantaisie poétique proche de la liberté de l’Amphitryon de Molière, par exemple.


« Si vous accouchez donc d’une fille, faites-la mourir en naissant… » C’est ainsi que commence Ovide dans la traduction de Du Ryer (1655). Fatalement, la dame accouche d’une fille ! La déesse Isis lui apparaît et lui conseille d’élever sa fille « en garçon » : son mari n’y verra que du feu. Iphis, jeune fille-garçon, est amoureuse d’une vraie jeune fille, Iante. Iphis se sait fille, mais qu’importe, cette passion la dévore autant qu’elle la désespère. La jeune Iante étant de famille riche, le père d’Iphis voudrait conclure le mariage. La mère invente toutes sortes d’arguments pour retarder cette échéance, mais rien n’y fait.


À bien y penser, la fable est terrible, mais c’est aussi une comédie romanesque. Les coeurs sont lourds, mais c’est un chef d’oeuvre de fantaisie, voire de cocasserie absurde. Il n’y a pas de morale là-dedans, pas d’explication à donner, la plus futée soit-elle. C’est une histoire d’avant la psychanalyse et l’homosexualité moderne. C’est un poème des heures chaudes de la jeunesse. Car il n’y a pas qu’Iphis et Iante ; il y a Ergaste, et Mérinte, et Nise… (…) Le désir – et son empêchement – parcourt ces lignes, utopique et tragique. Et il ne faudra pas moins d’une déesse (dea ex machina) pour que tout rentre dans un ordre (moral, social, sentimental, économique, sexuel…) mis pour un temps en dangereux péril. Pour franchir ce pas, pour nous entraîner à naviguer dans ces eaux troubles, Benserade, pour ses contemporains comme pour nous, passe par le « Il était une fois… ». C’est bien sûr un conte, un rêve, mais le rêve de qui ? D’Ovide ? de Benserade ? d’Iphis et de Iante ? Un cauchemar de leurs parents ? Un rêve de la déesse, ou de l’humanité dans la nuit des temps !? De vous ou moi, finalement, peut-être… C’est du Théâtre.

Jean-Pierre Vincent et Bernard Chartreux

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