: Présentation
par Nasser Djemaï
Parfois on en croise un dans la rue et subitement on le voit. On le voit parce
qu’il est arrêté avec une attention particulière, au milieu des passants pressés,
il regarde. Concentré, immobile, silencieux, il regarde pendant des
heures, le travail des grutiers, des manoeuvres qui s’agitent, casques sur
la tête. Puis il s’éloigne à petits pas, il est vieux, il a mal à la jambe, on se
demande où il va…
Parfois on en voit un autre dans un café. Il est seul. Il a une consommation
devant lui mais il ne boit pas. Son corps, son allure, sa façon de se tenir très
droit, d’être endimanché, raconte une histoire qu’on aimerait bien entendre.
Mais il ne parle pas. Visiblement il n’attend personne. Aucune femme ne le
rejoint, aucun camarade pour jouer aux dominos, aux cartes, ou boire un coup
avec lui.
Qui sont-ils ? Des travailleurs immigrés, écartelés entre les deux rives de la Méditerranée,
qui ont vieilli ici, en France. Ils sont restés seuls, pour des raisons
diverses. Ils ne sont pas rentrés au pays. La France est devenue leur pays, ils
y ont apporté leurs rêves, mais ils sont devenus des fantômes.
Dans la mythologie, le royaume d’Hadès (épithète signifiant « l’invisible »),
celui qui arrivait à entrer dans le royaume des morts, pouvait observer, interroger
les ancêtres, et revenir dans le monde des vivants, fort de cette sagesse,
à une condition : celle de ne pas s’asseoir sur « la chaise d’oubli »
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