: Entretien avec Gwenaël Morin
Comment s'est produite votre rencontre avec Peter Handke ?
J’avais utilisé certaines parties de Selbstbesichtigung (Introspection) dans un montage que j’avais fait pour un spectacle au théâtre des Ateliers à Lyon qui s’intitulait Théâtre normal. Le spectacle déclinait comme autant de numéros ou de sketches les formes canoniques du théâtre : comédie, tragédie, drame… J’avais utilisé des fragments de Selbstbesichtigung pour illustrer le monologue et poser la question du « je » au théâtre. Aujourd’ hui, je veux approfondir cet aspect qui figurait en citation dans Théâtre normal.
Pourquoi avoir choisi Introspection dans toute l'oeuvre de Peter Handke ?
Votre question laisse supposer l’idée que je me serais intéressé a l’oeuvre globale de Peter Handke avant de porter mon choix sur Selbstbesichtigung. Ce n’est pas le cas. C’est un ensemble de facteurs multiples qui, comme lors d’une rencontre entre êtres humains, fait que quelque chose se passe. L’ensemble des facteurs qui y contribue est tellement vaste qu’il vaut mieux parler de hasard. Picasso dit « Je ne cherche pas, je trouve ». J’essaie de développer cette discipline personnelle qui me permet de rester disponible, c’est-à-dire sensible au monde le plus possible. Et parfois, je trouve.
Quelles réflexions sur l'Homme avez-vous retenu dans ce texte ?
"Je est un autre", n’est-ce pas ? Le théâtre
comme entreprise de répétition,
réactivation propose une expérience du « Je
est un autre ».
Ce que je veux dire avec Selbstbesichtigung,
c'est que « je » n’existe que dans la relation
à l’autre. L’affirmation du « je », du sujet,
n’est possible qu’à partir du moment où je
reconnais la réalité de l’autre. Je parle
toujours à quelqu’un car la parole n’a de
raison d’être que dans le fait de m’adresser
à l’autre. La parole est nécessairement
donnée. Le théâtre pose les questions : à
qui ? Comment ? Pourquoi ?
Pourquoi avoir choisi de former un choeur pour un texte utilisant le « je » ?
Selbstbesichtigung est écrit pour deux interprètes, un homme et une femme, mais Peter Handke écrit le texte d’un bloc, sans répartition entre l'homme et la femme. Il donne la responsabilité aux interprètes de se répartir la parole selon leurs propres règles, avec pour seule directive que la construction soit faite dans un souci d’harmonie. Le génie d’Handke est qu’il écrit un monologue pour deux et pose de manière éclatante la relativité absolue du point d’affirmation du « je ».
Quelle est l'origine de ce projet choral ?
L’école de la Comédie de Saint-Etienne
m’avait demandé de mettre en scène avec
dix élèves, cinq pièces pour deux acteurs de
quinze minutes chacune, pouvant être
présentées de manière isolée ou bien
ensemble à la suite les unes des autres. J’ai
essayé d’imaginer un principe qui me
permettrait de conserver l’intégrité de
l’ensemble dans chacun des fragments.
J’ai pensé à cette sculpture de Tony Cragg
qui, cassant une série d’assiettes, les
reconstituent ensuite comme un puzzle,
d’abord à l’échelle d’une table à manger,
puis d’une pièce domestique, puis d’un
appartement, puis d'un bloc d’immeubles,
puis d’un quartier, puis de la ville entière de
Londres. Le choeur est une forme
extensible, il existe à partir de deux personnes et peut s’accroître à l’infini ou
presque. Mais à chaque nouvelle personne,
à chaque nouveau choreute, la question de
l’intégrité de l’ensemble est posée à
nouveau.
Jouer Selbsbesichtigung sous-tend
l’expérience d’une double affirmation : celle,
précaire de « Je suis acteur de ma propre
vie » et l’autre, utopique, de « Je suis acteur
de théâtre ». J’ai pensé que cette expérience
était intéressante pour des apprentis
comédiens. Expérience faisant, j’ai réalisé
que la portée philosophique et poétique du
texte de Handke dépassait pour moi
largement l’exercice de style.
C’est pourquoi, je veux le refaire et
l’approfondir au Théâtre de la Bastille, avec
six voix d’acteurs et d'actrices de
générations différentes.
Ce texte sans narration et sans personnages implique-t-il des changements dans votre façon de mettre en scène ?
Non. Je n’ai pas de méthode, je deviendrais ce que le texte fera de moi. Je ne sais pas ce que je vais faire et c’est cela qui m’intéresse : ce qui m’est inconnu, ce qui m’est étranger, ce qui m’est autre. Le spectacle donnera forme à cet autre à venir. Aucun changement donc dans ma façon de travailler, il s’agit encore et encore de faire face au chaos, tenter d’y fonder la possibilité d’un commencement, faire oeuvre d’art.
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