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室内 ヨーロッパ・ツアー (Intérieur)

mise en scène Claude Régy

: Entretien avec Claude Régy

Propos recueillis par Jean-François Perrier

C’est la première fois que vous recréez une pièce que vous avez déjà mise en scène. Pourquoi avoir accepté de travailler avec des acteurs japonais ?

Claude Régy : C’est en effet la première fois car je préfère toujours tenter des expériences sur des textes nouveaux. Pour Intérieur, ma démarche a été différente car j’ai répondu à une demande de Satoshi Miyagi, directeur du Shizuoka Performing Arts Center au Japon, qui souhaitait que je fasse une création avec des acteurs japonais. Je savais que la façon de travailler de Satoshi Miyagi était très différente de la mienne. Je savais aussi qu’il avait vu en France plusieurs de mes mises en scènes. J’ai supposé que c’était cette différence de travail qui l’intéressait. Mais si j’aime bien les aventures, j’ai exigé de choisir moi-même les acteurs à la suite de longues auditions à partir du texte de Maeterlinck.

Vous dites que Maurice Maeterlinck et Peter Handke, au mitan des années 1980, ont été des révélations pour vous. Ces rencontres ont-elles transformé votre façon de travailler ?

Peter Handke définit sa pièce Par les villages comme un « poème dramatique » ; j’ai trouvé que c’était un vocable magnifique. En lisant Intérieur, à la même époque, j’ai pensé que c’était un très bon exemple de poésie dramatique. Maurice Maeterlinck est vraiment un auteur à part, que l’on a un peu noyé dans le mouvement du symbolisme alors qu’il a une démarche révolutionnaire, toute personnelle, dans le théâtre. C’est un très grand précurseur qui, avant Antonin Artaud, avant Edward Gordon Craig, est le premier à faire la guerre à un théâtre démonstratif dominé par des acteurs « monstres sacrés » qui étaient en antinomie avec l’exigence propre à chaque écriture.

N’aimez-vous pas les étiquettes ?

Pas beaucoup... Il faut décoller les étiquettes ! Il faut regarder les différents parcours de chacun de ceux qui se retrouvent inscrits, volontairement ou non, dans des écoles, des chapelles. Si on regarde par exemple le groupe dit du « Nouveau Roman », on s’aperçoit qu’il y a des points communs avec le théâtre de Maeterlinck – rejet de l’idée de personnage, rejet du récit linéaire et rejet de la psychologie. Il y a donc des croisements entre des mouvements, entre des écrivains qui, à des années d’intervalles, provoquent des révolutions.

Pourquoi avoir choisi cette pièce dans ce contexte ?

D’abord parce que je l’avais créée en 1985 et qu’il y avait donc la possibilité d’une réelle recréation compte tenu du temps qui s’était écoulé. C’est un texte qui me touche particulièrement à cause de son thème bien sûr, la mort d’un enfant, mais aussi pour les possibilités qu’il m’offre d’approfondir mon travail, de creuser encore davantage ma recherche sur cette séparation entre la voix et l’image, et de satisfaire mon désir de faire surgir l’invisible qui se cache entre les mots. J’ai pensé que cette recherche existait aussi au Japon depuis le XVIIe siècle dans le théâtre de marionnettes du bunraku puisqu’il y a des récitants sur le côté de la scène pendant que des manipulateurs de poupées créent des images au centre du plateau. Il me paraissait donc intéressant de confronter Maurice Maeterlinck, qui sous-titre sa pièce Intérieur « drame pour marionnettes », à des acteurs japonais, en essayant de les faire jouer d’une manière pas trop « humaine », c’est-à-dire pas trop incarnée, pas trop sentimentale, absolument pas réaliste, pas vraiment active. Je voulais un jeu qui s’appuie sur une certaine passivité pour découvrir tout ce qui passe à travers les transparences. Si j’ajoute qu’une autre forme de théâtre traditionnel du Japon, le , ne trace pas une ligne nette de séparation entre les morts et les vivants – on disait même que les acteurs qui arrivaient sur scène venaient du monde des morts – j’avais de très bonnes raisons de proposer Intérieur.

La mort d’une petite fille est au coeur de la pièce de Maeterlinck.

Oui, mais l’essentiel, c’est qu’une partie des êtres humains qui sont là sur la scène savent que cette enfant est morte alors que la famille, présente aussi sur la scène, ne le sait pas encore. Il y a donc présence simultanée du conscient et de l’inconscient, cette simultanéité qui me paraît être un des fondements des études et de la pensée de Sigmund Freud. Ce qui m’intéressait était la confrontation entre un groupe d’acteurs qui parlent, qui dialoguent, qui racontent et un autre groupe qui vit et bouge dans un absolu silence. Maeterlinck précise bien que ce qui l’intéresse dans cette confrontation, c’est la « prémonition » du drame, c’est-à-dire ce que l’on sait sans le savoir, prémonition qui pourrait exister dans l’univers clos de la famille. Il y aurait comme une sorte d’avertissement d’un ordre secret.

Dans les didascalies, il est précisé que la famille se trouve à l’intérieur d’une maison et qu’on la voit vivre à travers une fenêtre. Est-ce le dispositif que vous avez choisi ?

Non. Dans la scénographie de mon spectacle, la séparation est seulement créée par la lumière. Je pensais que, le texte n’étant pas réaliste, on pouvait pousser la révolution de Maeterlinck un peu plus loin encore en supprimant le réalisme de l’image. Il me semble que l’important pour un metteur en scène est de traiter les textes comme on les ressent, guidé par l’intuition. Le texte est primordial pour moi.

Comment parleriez-vous de l’écriture de Maeterlinck, une écriture avec du silence ?

C’est une écriture musicale, ce qui d’ailleurs rend souvent pléonasmiques les partitions qui ont été imaginées pour accompagner certains de ses textes. C’est une écriture qui mélange les rythmes, alexandrins par moment, décasyllabiques à la manière de Shakespeare à d’autres moments. Mallarmé remarquait que ce qui est dit est plutôt suggéré. Il y a des phrases très mystérieuses, par exemple quand un des personnages, parlant de jeunes filles qui sont à côté de lui, dit :
« On dirait qu’elles prient sans savoir ce qu’elles font.
On dirait qu’elles écoutent leurs âmes... »
Ce sont des phrases qui peuvent donner lieu à des interprétations sans limite, qui peuvent nous emmener dans le monde des rêves. Le silence est primordial dans l’oeuvre de Maeterlinck. Il dit que deux amants ne se connaissent pas s’ils ne se sont pas tus ensemble. Le poète Henri Meschonnic, traducteur d’une nouvelle édition de la Bible, a écrit que le silence n’est pas un « arrêt » du langage, mais que c’est une « catégorie » du langage. Nathalie Sarraute disait, elle : « Les mots servent à libérer une matière silencieuse qui est bien plus vaste que les mots. » Tout cela me paraît une évidence. On travaille sur un au-delà des mots. En privilégiant les rythmes, les sons et le silence, on espère pouvoir atteindre le spectateur à l’endroit où la musique l’atteint.

Le silence nous met en relation avec l’essentiel de notre être.

Dans ce monde de fureur et de bruits permanents, je crois que c’est devenu subversif de travailler sur la lenteur et le silence.

Mais n’y a-t-il pas des actions très réalistes ?

Oui, mais Maeterlinck fait en sorte qu’elles soient détournées du réalisme. Par exemple, quand on voit le cortège qui arrive accompagnant le corps mort de la jeune fille, on ne verra jamais le corps... C’est une incitation à déclencher de l’imaginaire chez le spectateur. Il n’y a pas de vraie représentation, c’est le texte qui suggère, qui crée des images qui doivent permettre au spectacle de se construire en s’appuyant sur l’imaginaire des spectateurs.

Maeterlinck a inventé une formule pour caractériser son théâtre : « le Tragique quotidien ».

C’est ce qui a fasciné Tchekhov quand il a lu Maeterlinck. Cela veut dire que, pour qu’il y ait du drame sur scène, il n’est pas nécessaire qu’il y ait des épées ou du poison qui circulent, mais qu’il suffit simplement d’être dans le calme d’une soirée pendant laquelle on a l’impression qu’il ne se passe rien. Dans Intérieur, Maeterlinck, parlant des membres de la famille qui ne savent pas encore que leur fille est morte, écrit : « Il semble que lorsque l’un d’eux se lève, marche ou fait un geste, ces mouvements soient graves, lents, rares et comme spiritualisés par la distance, la lumière et le voile indécis des fenêtres. » La façon de jouer des acteurs est donc exactement définie par l’auteur. Il n’y a rien à ajouter. Il y a juste à faire respecter ses indications. Quand Maeterlinck écrit : « Et si nous sommes étonnés par moment, il ne faut pas perdre de vue que notre âme est souvent à nos propres yeux une puissance très folle et qu’il y a en l’homme bien des régions plus fécondes, plus profondes et plus intéressantes que celles de la raison ou de l’intelligence », je suis en total accord avec lui. C’est ce que je défends dans mon travail depuis tant d’années. C’est la raison pour laquelle j’ai été très séduit par ce qu’écrit Antonin Artaud, qui admirait particulièrement le « verbe » de Maeterlinck : « Si nous faisons un théâtre, ce n’est pas pour jouer des pièces, mais pour arriver à ce que tout ce qu’il y a d’obscur dans l’esprit, d’enfoui, d’irrévélé, se manifeste en une sorte de projection matérielle, réelle. » Le parallèle entre les deux textes – celui de Maeterlinck et celui d’Artaud – est très frappant.

Deux des personnages s’appellent Marthe et Marie, prénoms de celles qui, dans le Nouveau Testament, sont les soeurs de Lazare, ressuscité par Jésus. Un autre se nomme « l’Ét ranger ». Est-ce un hasard ?

Certainement pas. Maeterlinck a d’ailleurs écrit un texte sur Lazare où il s’intéresse à la façon dont le ressuscité revient dans la vie quotidienne. Sa première demande, c’est de manger de la soupe… Mais Maeterlinck écrit aussi que parfois Lazare prononce une phrase que nous ne pouvons pas reconnaître. Il y a pour Lazare une sorte de double temporalité : le temps présent et le temps où il traversait le monde des morts. Pour l’étranger, je suis allé jusqu’à dire qu’il est étranger à tout. Il est de notre monde mais peut-être aussi d’un autre monde. Il a des connaissances, des savoirs que nous n’avons pas. Il est en relation avec un univers secret. C’est lui – l’étranger – qui trouve le cadavre. Il ramène la noyée sur la rive. Il semble avoir une relation vivante avec la mort.

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