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: Entretien croisé de François Morel, Olivier Broche et Olivier Saladin

Propos recueillis par Camille Lagrange

D’où vient l’idée d’Instants Critiques ?


François Morel : Le point départ est né du désir de voir Olivier Broche dans le rôle de Jean-Louis Bory. Je trouvais dommage que la passion d’Olivier pour le cinéma, sa culture foisonnante, n’apparaisse jamais sur scène. C’est un aspect que le public ne connaît pas et que j’avais envie de montrer. Et puis il existe un rapport presque physique, dans l’énergie, entre Oliver Broche et Jean-Louis Bory. Et comme il me fallait un acteur solide pour jouer Charensol, j’ai pensé à Monsieur Saladin. C’est aussi la volonté de faire un spectacle autour du cinéma et de l’amitié, avec deux bons copains.


Olivier Broche : Tu te souvenais aussi d’avoir écouté Bory et Charensol à l’époque. Ça t’avait marqué.


FM : Oui. L’idée d’en faire un spectacle est aussi issue de la théâtralisation de leurs débats. Ils mettaient véritablement en scène leurs dissensions.


Est-ce saugrenu d’adapter des débats radiophoniques au théâtre ?


FM : On n’est pas non plus d’une folle originalité ! Ça s’est déjà vu. L’habitude existe de ne pas forcément prendre le support d’une pièce de théâtre pour faire un spectacle. Il y a trente ans il y a eu un Conseil de classe très ordinaire par exemple ou Antoine Vitez qui a monté les dialogues entre Pompidou et Mao...


L’adaptation a demandé un gros travail de réécriture ?


OB : Comme c’est du langage parlé, on ne l’adapte pas d’une façon littéraire, même si les dialogues ont été réécrits. On adapte l’oral pour en faire du théâtre, qui à son tour est repris à l’oral ! Il faut juste fixer les choses au maximum, essayer de ne pas commettre trop d’entorses.


FM : D’ailleurs je ne sais pas encore si je dois vous reprendre sur vos petites digressions avec le texte.


Olivier Saladin : Il faut s’y tenir avec scrupule je pense, pour ne pas prendre de mauvaises habitudes.


FM : On réadapte aussi parce que ce sont souvent des conversations qu’ils avaient à six ou sept, avec Michel Polac ou Bastide qui lançaient les débats. On a évacué les longueurs pour ne garder que les passages de Bory et Charensol et décontextualisé pour en faire deux amis qui se retrouvent dans un cinéma et débattent autour des films.


Alors Bory et Charensol, duo ou duel ?


FM : Ce sont deux personnages forts, deux regards très différents sur le cinéma et sûrement sur le monde. D’ailleurs on se dit aussi qu’avoir de telles conversations autour de l’art devait rendre leurs rapports profonds, plus fructueux, presque intimes… Mais quand j’ai demandé au fils de Charensol s’ils étaient amis, il m’a affirmé que non ! En fait, ils ne se voyaient pas en dehors des émissions.


OS : Apparemment, ils étaient bons camarades mais gardaient des rapports très professionnels. Ils n’étaient pas ennemis en tout cas. Et pour les avoir beaucoup réécoutés, je trouve aussi que c’étaient des voix. De vraies voix de radio.


OB : Le public attendait des duettistes. Et ça, ils le savaient et en jouaient. Ce jeu avec le public existe encore aujourd’hui au Masque et la Plume, mais à un degré moindre.


Ils avaient une vraie complicité au micro.


OB : Oui, une complicité très scénique finalement. Leur duo a rapidement bien fonctionné, l’un incarnant véritablement l’effervescence formidable des années 70, la Nouvelle Vague, le cinéma américain, la modernité en somme, et l’autre la tradition.


FM : Ils gravitaient aussi dans le même milieu littéraire. Bory a eu le Goncourt à 26 ans, ça a fait de lui un nom. Charensol écrivait sur la peinture et le cinéma… Ils se sont beaucoup lus également.


Bory, c’est la critique et Charensol, l’opinion ?


OB : Oui, c’est un peu ça. L’un défend un cinéma politique, avec une vraie construction critique, un argumentaire et l’autre livre un sentiment plus instinctif. Ça lui plait ou pas. Chez Bory, tout est politique : Godard, Pasolini, même Le Corniaud est politique pour Bory ! Mais avec ce coté publicitaire et facile qu’il déteste.


FM : Aujourd’hui, on parle comme ça des films de Dany Boon par exemple. Le dernier s’est fait littéralement étriller. C’était assez violent même.


Il y a un coté nostalgique de l’époque chez vous ?


FM : Pas nostalgique mais disons que ces années-là étaient certainement plus passionnées qu’aujourd’hui dans la critique et le débat intellectuel. C’est plus rare d’avoir de fortes oppositions sur le cinéma entre un journaliste de Libération et du Figaro.


OB : Pour moi, le seul coté nostalgique repose sur le bouillonnement cinématographique extraordinaire de l’époque : les polémiques intelligentes autour des enjeux esthétiques, philosophiques, politiques du cinéma. La fin des années 70 dans le cinéma est véritablement la fin d’un cycle.


OS : ça remet un peu le cinéma dans l’art. Nous sommes aujourd’hui plus dans l’«entertainement», le divertissement. Le Masque et la Plume prenait le cinéma comme un art, prétexte à parler du monde.


Qu’est-ce que la critique aujourd’hui ?


OB : Je pense qu’une certaine critique cinématographique a gagné aujourd’hui. C'est-à-dire que les oppositions très fortes se sont gommées lorsque le cinéma a finalement su s’imposer comme un art à part entière. On regarde maintenant les réalisateurs comme de vrais artistes. On peut aimer et considérer comme une œuvre d’art un film commercial, et un film d’auteur. C’est acquis. Ça vient d’Hitchcock et de la Nouvelle Vague. Parce qu’à l’époque, ce qui était commercial ne pouvait pas être bon, et ce qui était auteur l’était forcément.


FM : C’est pour ça qu’ils passent à coté d’un film comme Le Parrain par exemple.


OS : Ils disent que c’est une grosse machine, qui plus est américaine !


OB : Bory est beaucoup plus ouvert à ça.


FM : Dans la critique actuelle, quelqu’un comme Eric Neuhof représente bien le courant Charensol, et le critique des Inrocks pourrait être le fils de Bory.


OB : Il y a un truc intéressant maintenant d’ailleurs, c’est que la critique « intello » d’aujourd’hui dira toujours plus facilement du bien d’un film commercial américain que d’un film commercial français.


La critique existe-t-elle encore aujourd’hui dans les médias de masse ?


FM : Il y a moins de places pour la critique mais énormément pour la promotion. Aujourd’hui, la critique de référence pour le grand public, à la télévision par exemple, c’est Zemmour et Naulleau. Sont-ils les Bory et Charensol de notre époque ?


FM : Ils font aussi du spectacle de leur critique, mais la comparaison s’arrête là. L’esprit n’est évidemment pas du tout le même.


OB : D’ailleurs il parait que ce sont eux qui font vendre le plus de livres… C’est hallucinant.


OS : L’émission repose beaucoup sur eux aussi.


Y’a –t-il aujourd’hui une forme de déficit de liberté de la critique, du débat intellectuel ?


OB : Non, je ne crois pas. Quoique peut-être un peu d’autocensure…


FM : Je n’y crois pas non plus. Les journalistes sont libres de dire ce qu’ils veulent, il y a juste beaucoup d’argent et de place pour la promotion des films. Je me méfie de la nostalgie par rapport à une époque révolue, surtout en ce qui concerne la liberté de ton… Quand Peyrefitte était Ministre de l’Information, je ne suis pas sûr que la liberté de critique était plus grande que maintenant…


OB : Quant à l’aspect « nostalgie de l’époque », il réside surtout dans ses combats critiques en faveur des films non diffusés, non accessibles ou censurés par exemple. Un combat pour la liberté de l’œuvre.


Pour revenir au spectacle, vous définissiez, durant les répétitions, vos repères des étapes de la pièce par des noms de films ou de réalisateurs. Vous avez choisi certains dialogues en fonction des films abordés?


FM : On s’est surtout basé sur les échanges qui nous semblaient intéressants, mais aussi sur la hauteur de la discussion, qui puisse dépasser l’intérêt du film, comme le débat sur la pornographie et l’érotisme au moment de la sortie de L’Empire des Sens.


OS : C’est marrant parce finalement, on a très peu de choses sur Truffaut par exemple…


Pour vous, François Morel, c’est une nouveauté d’être à la mise en scène et pas sur le plateau. Ça fait quoi ?


FM : C’est vrai que je suis dans une position que je n’ai jamais eue. Et que j’espère pouvoir tenir ! Ça n’est pas évident d’ailleurs. Mais ça me plait vraiment d’accompagner le projet de cette façon. Après… je ne suis pas metteur en scène au sens où je ne prendrai jamais un texte de Shakespeare en disant « Voici mon regard sur Shakespeare ». Parce que je n’en ai pas spécialement.


Et se faire diriger par François Morel, c’est comment ?


FM : C’est très difficile, non ?


OB : On se connaît bien donc on comprend facilement ce qu’il veut. J’espère juste être à la hauteur ! On trouve beaucoup de solutions ensemble.


OS : Le dialogue est plutôt facile…


Quand on vous voit tous les trois, on pense forcément aux Deschiens. Ça fait très longtemps que vous ne vous étiez pas retrouvés ensemble sur scène ?


OS : Avec François, nous jouons depuis des années Bien des Choses. Et puis tous les trois, on s’est toujours vus dans la vie, à coté. Sur Instants Critiques, il n’y a rien de calculé, ça s’est tout simplement fait comme ça.


OB : En tout cas, moi, ça me fait très plaisir de retravailler avec eux !


FM : Et puis ça te fait des heures pour ton intermittence…


OB : Ah oui, je commençais à tirer un peu sur la corde là.


Dernière question : Est-ce que vous pensez que des gens adapteront au théâtre cette interview dans trente ans ?


FM : Je crois oui… J’en suis sûr même.


OB : Il y aura juste un gros travail de réécriture !

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