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Incendies

+ d'infos sur le texte de Wajdi Mouawad
mise en scène Stanislas Nordey

: Entretien avec Stanislas Nordey

Propos recueillis par Cécile Roy

Entretien réalisé à l'occasion de la rédaction du dossier Pièce (dé)montée. Voir le sommaire

Racontez-nous votre rencontre avec la pièce Incendies.


Stanislas Nordey – C’est d’abord une histoire d’amitié. Je connais bien Wajdi Mouawad. Depuis longtemps une complicité artistique et amicale forte nous a réunis. Peu de gens ont monté ses pièces puisque lui-même les met en scène. Son théâtre – surtout parce qu’il travaille avec des acteurs québécois – est extrêmement engagé dans l’émotionnel, il donne lieu à un surinvestissement de tous les instants.
Il m’a semblé intéressant de pouvoir lui offrir un autre regard sur un texte qu’il avait déjà mis en scène. Étant donné que je travaille avec une certaine forme de distance sur les textes, en les prenant à la fois de l’intérieur mais aussi de l’extérieur, je trouvais intéressant de pouvoir lui offrir ma grille de lecture. C’était une de mes premières motivations.


Aussi, de toutes les pièces de Wajdi Mouawad, Incendies me semble être la plus forte, et d’un point de vue dramaturgique et dans la construction des personnages. Elle présente vraiment un équilibre passionnant, notamment en regard de la pièce précédente Littoral et de la suivante Forêt. Une espèce d’objet théâtral presque parfait.


Ensuite, cette écriture n’est a priori pas forcément proche de celles que je monte habituellement. L’écriture de Wajdi est très florissante, il y a un désir de tout dire. Celles que j’aime sont plutôt trouées : on n’en dit presque pas assez plutôt que trop. J’ai retrouvé la même envie que celle que j’avais eue au moment de monter Feydeau. Dans les textes de Feydeau, il y avait aussi quelque chose dont je ne me sentais pas vraiment proche.
De la même manière, ce qui me plaisait beaucoup, était cet amour du théâtre, du coup de théâtre, une espèce de passion du plateau dans laquelle je me retrouve. Les rebon- dissements créent un rapport particulier avec le public, c’est aussi une des raisons pour laquelle j’ai choisi cette pièce-là.


Comment avez-vous géré les époques et les lieux différents qui coexistent souvent sur scène ?


S.N. – Il fallait trouver un principe simple qui puisse permettre aux spectateurs de ne pas être noyés, de ne pas être perdus. Pendant les répétitions, nous avons longtemps cherché comment permettre aux spectateurs de se repérer rapidement. Par exemple, nous avons pensé choisir une couleur de costume pour chaque époque ou encore pensé mettre les dates de chaque scène... mais tout cela ne marchait pas.


Finalement, nous nous sommes rendu compte que les trois Nawal (Nawal 20 ans, Nawal 40 ans et Nawal 60 ans) synthétisaient l’ensemble. Nous avons donc décidé d’ouvrir le spectacle par une présentation toute simple des personnages. Au début, les acteurs arrivent sur scène puis disent qui ils sont.
La première à se présenter est la comédienne qui joue Nawal 20 ans, elle dit : « Nawal Marwan, 20 ans ». La seconde s’avance et dit : « Nawal Marwan, 40 ans ». La troisième : « Nawal Marwan, 60 ans ». À partir de ce moment-là, le spectateur se repère avec ces trois visages de femme. Ce geste tout simple de mise en scène suffit à rendre clair. Le public voit d’emblée la singularité du spectacle : il va suivre un personnage à travers trois époques.


Les lieux où se déroule l’histoire semblent fragmentés ou indéfinis. Plusieurs villes du Liban sont citées mais le pays n’est pas nommé. Est-ce que vous tenez compte de cet aspect ?


S.N. – Nous nous sommes beaucoup interrogés et avons assez vite compris que ce n’était évidemment pas un hasard si Wajdi Mouawad avait décidé de ne pas forcément citer le lieu où cela se passe, pourquoi, etc. Dans les premières versions (très précieuses) du texte, dans ces états antérieurs de l’écriture, Wajdi Mouawad fait énormément références au conflit israëlo-palestinien, puis il a presque tout gommé. Ce geste dans la construction dramaturgique est donc vraiment volontaire. Oui, cette guerre se passe au Sud, oui, il y a une guerre civile, mais elle est générique de toutes celles qui se passent dans tous les pays du monde.
Finalement, ce sont les drames individuels à l’intérieur de cela qui intéressent l’auteur, le petit homme face à l’Histoire avec un grand H.


Est-ce que vous retranscrivez cela au niveau du choix du décor ?


S.N. – Le décor est très simple, c’est un espace blanc, presque un espace de danse. Je ne voulais pas un décor réaliste mais plutôt un lieu dans lequel tout soit possible. Je pense que Wajdi est très influencé par Shakespeare, Sophocle et par cette façon qu’ont les grands auteurs classiques de définir un lieu en disant au début : « Nous sommes dans une forêt » et il n’y a pas besoin de représenter la forêt. Le fait de le dire suffit. J’ai donc volontairement travaillé sur un espace blanc dans lequel l’imaginaire est libre de projeter tout ce qu’il veut.


Cela rejoint aussi l’aspect générique de cette guerre dont vous parliez.


S.N. – Tout à fait... Encore une fois, je crois que ce qui intéresse vraiment l’auteur ce sont les humanités bousculées. Il y a chez lui un travail sur le gros plan que j’essaie de rendre dans la mise en scène.
La lumière dans le spectacle est assez importante. Tout près du public, des rampes de lumière assez fortes sont dirigées vers les acteurs et je leur ai demandé sans cesse de venir s’y brûler comme des papillons, c’est- à-dire d’être le plus proche possible du public pour raconter l’histoire. Ce qui fait la particularité des pièces de Wajdi Mouawad, c’est un très fort désir de raconter, ce qui se rapproche énormément du conte. Il n’y a pas de décor dans les spectacles de conte, seulement la parole du griot. Aussi, le fait que l’imaginaire ne soit pas écrasé par une représentation quelconque était très important.


Pensez-vous que les arbres blancs de la scène 5 entre Nawal et Wahab renvoient à une forêt de conte ?


S.N. – Les troncs blancs sont ceux que l’on trouve au Liban. Ce sont, je crois, des arbres brûlés par la guerre. Je pense qu’ils représentent la vie et qu’en même temps ils sont développés comme des figures fantomatiques. En tout cas, c’est comme cela que je les entends. Pendant les répétitions, nous en avons mis sur le plateau, évidemment le fait de les représenter enlevait l’imaginaire. Ils ont été retirés très vite.


Les titres de certaines sections paraissent métaphoriques, Un couteau planté dans la gorge par exemple ou encore les différents incendies (Incendie de Nawal, Incendie de l’enfance...) Est-ce une dimension que vous avez réinvestie dans la mise en scène ?


S.N. – À un moment donné de la recherche, nous projetions les titres comme les chapitres d’un livre. Mais à la toute fin nous les avons enlevés car cela interrompait un peu l’action.
Nous avons compris que les chapitres ne s’adressaient pas aux spectateurs mais aux lecteurs : ce sont des guides mais ils n’ont pas d’importance dans la représentation. Wajdi s’est préoccupé du fait que des gens allaient lire son texte.


Page 85, la didascalie semble suggérer plus qu’elle ne montre : « Il pose le nez de clown. Il chante. Nawal (15 ans) accouche de Nihad. Nawal (45 ans) accouche de Jeanne et Simon. Nawal (60 ans) reconnaît son fils. Jeanne, Simon et Nihad sont tous trois ensemble. » Comment avez-vous monté ce passage ?


S.N. – Étant donné que Wajdi Mouawad a monté lui-même ses pièces, la plupart des didascalies sont en fait des descriptions de sa propre mise en scène. J’ai vu Incendies et il se passait effec- tivement cela, d’une manière poétique, mais il y avait les accouchements.
Je lui ai demandé très vite s’il voulait que l’on respecte absolu- ment ses didascalies comme par exemple celle du marteau-piqueur dans la scène de l’autobus et du notaire. Nous avons d’abord essayé mais cela ne nous plaisait pas, n’avait pas de sens dans notre mise en scène.
Je l’ai appelé et lui ai demandé : « Si j’enlève le marteau-piqueur, est-ce que c’est un drame ? » Il m’a répondu qu’il s’agissait bien d’indications de sa propre mise en scène. Ce sont des choses dont il faut toujours se méfier quand les auteurs-metteurs en scène publient leurs textes, les didascalies correspondent souvent à ce qu’ils ont fait eux- mêmes et ne sont pas forcément une demande vis-à-vis d’autres metteurs en scène. Donc très concrètement, on a gardé le nez rouge.


Si vous deviez définir le spectacle à l’aide de trois objets, lesquels choisiriez-vous ?


S.N. – Un nez de clown, une ceinture d’explosifs et un testament.


Quel rôle auriez-vous aimé jouer dans la pièce ?


S.N. – Bonne question... les rôles de femme sont les plus beaux. Wajdi Mouawad est vrai- ment un écrivain qui écrit pour les femmes. Je pense que Nawal 60 ans est la plus belle partition. Et si c’était un rôle masculin, je crois que je choisirai le notaire parce qu’il joue un peu un rôle de metteur en scène, de monsieur Loyal66. Il a aussi une fonction comique. Au milieu de ce texte si violent et si tragique, il crée tout à coup des respirations.


Propos recueillis par Cécile Roy, le 28 juin 2008

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