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Illusions comiques

+ d'infos sur le texte de Olivier Py
mise en scène Olivier Py

: Quand le théâtre s’amuse du théâtre...

par Yannick Mancel

De l’aveu même de son auteur, si le titre de la pièce rend hommage à l’« étrange monstre » fantasmagorique et baroque de Pierre Corneille, c’est, en tant que genre dramatique, à Molière et à son fameux Impromptu de Versailles qu’elle doit le mieux sa filiation. Qu’est-ce qu’un impromptu ? L’origine s’en perdrait peut-être dans l’autre nom dont au XVIe siècle déjà on désignait comme par synonymie la commedia dell’arte : commedia all’improviso.


Outre la définition centrale même d’improvisation, se sont développées ensuite autour du mot les notions de soudaineté et de rapidité (promptitude), de spontanéité, d’impréparation, voire de répétition théâtrale – en y croisant notamment l’italien « prova » ou le latin « probare »...

L’impromptu tel que Molière en définit pour la première fois le genre désigne donc une (fausse) répétition, feinte ou fictive mais néanmoins écrite, fixée sur la scène et sur le papier, en présence et sous l’autorité de l’auteur ou du chef de troupe, au cours de laquelle les acteurs expriment leurs doutes en même temps que leurs convictions sur quelques grands ou menus sujets d’esthétique théâtrale, d’art du jeu ou de la représentation, voire, dans certains cas plus contemporains, d’idéologie ou de politique culturelle.


Dans L’Impromptu de Versailles, par exemple, Molière qui n’en a pas fini avec la polémique suscitée par L’École des femmes met en scène les acteurs de sa troupe aux noms désormais familiers (La Grange, Du Croisy, les Béjart, la Du Parc...) pour mieux régler ses comptes non seulement avec la critique et ses préjugés, mais aussi avec l’esthétique rivale de l’Hôtel de Bourgogne et de son chef de troupe, Montfleury, dont le ton déclamatoire et la diction emphatique sont tournés en dérision.

Plus près de nous, Jean Giraudoux, en 1937, offre à Louis Jouvet et à ses comédiens du Théâtre de l’Athénée un Impromptu de Paris dans lequel, en plein Front Populaire, un certain Robineau, fonctionnaire ministériel aux Beaux Arts, d’abord pris pour un huissier de justice (un « révizor »), se livre à une sorte d’inspection bienveillante qui donne l’occasion à Jouvet et à ses acteurs (Pierre Renoir, Madeleine Ozeray, Marie-Hélène Dasté...) d’exprimer leur amour du théâtre et du public, et la place exigeante et ambitieuse qu’ils assignent à leur art dans la société.

L’Impromptu de l’Alma d’Eugène Ionesco (1956) est plus grinçant. L’auteur, noyé dans les affres de l’écriture, y reçoit la visite de trois « docteurs » répondant tous trois au nom de Bartholomeus (Ier , II et III) derrière lesquels on reconnaît non seulement Bartholo, le barbon pédant de Beaumarchais, mais aussi respectivement Roland Barthes, Bernard Dort et Jean-Jacques Gautier. Ionesco y renvoie ainsi dos à dos ce qu’il appelle la critique brechtienne « ultra-scientifique » et « ultra-populaire » de la revue Théâtre Populaire, et le conservatisme le plus réactionnaire du Figaro de l’époque.

Il faudrait également citer L’Impromptu du Palais Royal de Jean Cocteau (1962) dont on imagine bien, surtout depuis Le Visage d’Orphée, l’influence plus ou moins consciente qu’il a pu exercer sur Olivier Py.


Mais il convient surtout, en dernière analyse, de rattacher cette modeste tradition ludique, humoristique et polémique des impromptus à une thématique plus large et plus vaste : celle du « théâtre dans le théâtre », de la mise en abyme de la scène, de l’enchâssement des fictions, ou encore du « métathéâtre » – c’est-à-dire du discours ou du commentaire sur le théâtre.


Alors il faudrait citer, aux origines, Les Grenouilles d’Aristophane, Hamlet et Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare – les fameuses séquences respectives dites «des comédiens» et « des artisans » –, certes L’illusion comique de Corneille, mais aussi Les Acteurs de bonne foi de Marivaux, et surtout Pirandello qui avec Six personnages en quête d’auteur et Ce soir on improvise a même donné son nom – on parle désormais de « pirandellisme » – à l’expression et à l’évolution de ce motif dans la modernité.


Yannic Mancel

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