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+ d'infos sur le texte de David Storey traduit par Marguerite Duras
mise en scène Chantal Morel

: "Home" par Chantal Morel

Home. D’abord, il y a deux hommes assis autour d’une table, ils se parlent ; l’un semble vouloir que le flot des paroles ne s’interrompt jamais, jamais ; il relance, ajoute, rajoute, commente et, il y arrive ! Cela continue et on sent la joie qui revient dans son coeur, puis les deux hommes partent faire leur promenade et deux femmes viennent autour de la table ; elles sont plus violentes, l’on dirait qu’elles s’en foutent que la conversation continue ou pas, les hommes sont restés dans l’espace, pas loin d’elles, ils reviennent et tentent de rentrer en contact, après ? Après, ils chercheront comment pouvoir être tous ensemble, autour de la table, « comme tout le monde », il manquera une chaise, c’est Alfred qui l’a prise, Alfred est chargé de rentrer les chaises le soir venu, Alfred s’applique à faire bien ce qu’on lui demande, il faudra donc aller chercher une chaise au réfectoire, il faudra se dire que c’est cela qu’il faut, et aussi que c’est cela que l’on désire, que c’est cela qui fera que ça continuera, il faut qu’il y ait le nombre de chaises suffisant pour s’asseoir tous les quatre autour de la table, et parler. Voilà, c’est TOUT ce qui se passe dans Home.


« Je ne sais pas la différence qui existe entre les choses, je ne vois entre elles que des ressemblances. Pour moi la différence s’est flétrie comme une fleur, elle s’est éparpillée dans le vent. Et, de même que le chaton du noisetier s’envole pour laisser place à la noisette, il ne m’est resté qu’un fruit : la similitude » dit Janet Frame. Je crois que c’est par similitude que je fais du théâtre, il m’a toujours semblé qu’au théâtre, nous, nous sur et autour du plateau et vous devant, faisions une chose que les systèmes politiques se cassent la tête à formaliser ; nous acceptons un vivre ensemble, celui de nos similitudes, de nos ressemblances, quand nous prenons place entre deux voisins, nous n’avons pas à avoir d’identité patte-blanche. Les personnages de Home, je crois qu’ils ont simplement un peu plus froid que nous, du moins, ce froid-là prend-il une place telle que le mouvement se fige, face à la dureté des relations entre les humains, les humains tels qu’ils sont, sans les douceurs que leur accorde la bonté des rêveurs, ils ne savent pas la force d’imposer leur être au monde, se sentent trop exposés aux dangers des relations humaines, trop dangereuses pour ceux qui ne savent pas dissimuler leurs pensées, ne savent pas simuler, ne savent pas peindre sur leur visage le masque de l’indifférence. « Dans l’existence, la plupart du temps, c’est en annexant et en envahissant les autres qu’on essaie de survivre » ; eux, je crois qu’ils voudraient de l’amour, de l’affection, qu’ils trouvent qu’il en manque, ils voient ce manque, ils voient que les autres font semblant de n’en pas avoir besoin mais que ce n’est pas vrai. Dans Home, les hommes pleurent, c’est si rare, c’est un crime de pleurer, pour les hommes et pour les femmes ; si nous avons un visage, c’est bien pour qu’un éternel sourire vienne s’y épanouir, non ?


« Était-il nécessaire de les mettre sur une voie de garage pour permettre au reste de l’humanité de circuler librement » ?
Je voudrais les consoler mais ils n’existent pas, ce sont des êtres de fiction, je les console en essayant de bien travailler avec les acteurs, il n’y a rien de magique dans le trouble, rien qui vienne d’on ne sait où, rien qui ne soit déjà en dedans de l’humain, la folie ne donne rien à l’homme qui ne soit contenu en lui, « et s'il y avait des magiciens, qu'est-ce qu'ils pourraient bien fabriquer ? » dit Antonin Artaud.


Le projet de Home, c’est d’accueillir collectivement la souffrance, faire ce dont la société a peur, un acteur doit prendre en lui ce quelque chose-là, et, pour cela, il se doit d’être bienveillant, notre groupe en travail peut accueillir, faire en sorte que quelqu'un, même fictif, ne se retrouve pas seul avec cette solitude effroyable, avec cette douleur ; qu’il puisse au moins en parler à quelqu'un, qu’il puisse au moins être devant quelqu’un, comme au théâtre, quelqu’un qui est là pour l’écouter et l’accueillir.


« Ce qui est premier, ce n'est pas la plénitude de l'être, c'est la lézarde et la fissure, l'érosion et le déchirement. »
Maurice Blanchot, philosophe


« Sans la reconnaissance de la valeur humaine de la folie c’est l’homme même qui disparaît ».
François Tosquelles, psychiatre


« Protestation contre l’idée séparée que l’on se fait de la culture, comme s’il y avait la culture d’un côté et la vie de l’autre ; et comme si la vraie culture n’était pas un moyen raffiné de comprendre et d’exercer la vie ».
Antonin Artaud, poète, metteur en scène et comédien


Il y a une jolie histoire racontée par la psychiatre, Danielle Sivadon : « Mon père était médecin-chef à Ville-Evrard. J’ai été élevée par une pensionnaire qui s’appelait Albertine. Elle s’occupait de la maison et des enfants (…) Elle se considérait comme ma mère, au sens strict, elle me racontait comment c’était quand j’étais dans son ventre… C’est là qu’on voit très bien que les enfants sont proches du délire parce que cela ne me semblait pas délirant du tout, puisque c’est vraiment elle qui s’occupait de moi, qui m’élevait, qu’elle m’aimait et que je l’aimais. Pourtant, elle délirait à plein tube... C’est ça qui m’interroge, c’est le manque de frontière entre les enfants et les gens qui délirent, parce que les enfants délirent beaucoup dans leur tête à cet âge-là… Albertine, pour faire bref parce que ses délires étaient beaucoup plus riches, voyait des petits nains partout, donc elle les chassait à grands coups de torchon, je me souviens par exemple, quand le chien mangeait, elle chassait tous les petits nains autour de la soupe du chien, qui, lui-même participait du délire ; le délire c’est toujours collectif, et quand Albertine n’était pas là, il aboyait pour faire partir les petits nains avant de manger… ».


« Il n’y a que les chiens crevés qui descendent au fil de l’eau ... ».
Lucien Bonnafé, psychiatre

Chantal Morel

octobre 2010

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