Comment s'est construit Historia Abierta ?

C'est un processus qui a abouti à un spectacle qui n’en est que le miroir.
Ce processus n’est pas seulement un processus de travail artistique, c’est un processus de réflexion et de jeu sur nous et l’Histoire, sur nous dans l’Histoire, sur des vies, le quotidien de ces vies, les chocs dans ces vies, le silence et les espoirs de ces vies.

Ce n’est pas seulement un projet artistique car il ne cherche pas à offrir un résultat exhaustif, et si en fin de compte, il y a un spectacle que nous espérons le plus chaleureux, émouvant, divertissant et interrogeant possible, il n'est que l’instantané d’une chose qui n’a cessé de bouger et bougera encore. Cela fait des années que je cherche à rendre compte d’un rapport plus partagé à l’Histoire. Ce fut avec les populations défavorisées de Bruxelles d’abord, à Belgrade ensuite et au Congo enfin. Ces plongées dans l’altérité, dans la diversité, les richesses, les origines, les douleurs, les tragicomédies, nous ramenaient à une relativité de l’Histoire au regard de ce que nous sommes.

Nous aurions pu ici aussi nous aventurer sur ce chemin d’anthropologue à la recherche des histoires, des fables du réel les plus terribles, nous émerveiller du courage des uns et pleurer de la douleur des autres. Comme si les artistes pour raconter, devaient se placer en dehors de cette histoire. Le choix que nous avons pris est un postulat philosophique qui a ses défauts et ses limites, comme tous les autres : il est impossible de parler d’ailleurs que de l’endroit où nous sommes. La tentation des artistes et des intellectuels de toujours vouloir supposer la vérité est un voeu tout aussi honorable qu’il me semble vain et en définitive douteux. Ce n’est pas de la fausse modestie que d’affirmer que l’Histoire n’est en fait pas racontable et que la tentative de la raconter est fatalement intéressée.

Je ne parle pas seulement du travail historique, journalistique ou critique mais de la manière dont tous, nous sommes bien forcés d’arranger notre propre histoire, de la scénariser pour lui survivre. L’Histoire ou les histoires ne peuvent se raconter que de l’angle d’où il nous est loisible de les regarder. Et c’est précisément ce qu’on appelle le point de vue.

Nous vivons un temps confus où la représentation du vrai se prétend le vrai et cette interprétation, qui conduit le monde, nous force au sensationnel de nous-mêmes, à ne plus nous accepter comme nous sommes, à nous haïr et à nous réfugier dans les nombreuses histoires officielles qui nous placent, nous déplacent, nous écrivent et nous raturent, comme si nous n’étions que des figurants d’une histoire qui nous dépasse. Et pourtant ici et ailleurs, des gens vivent, travaillent, font des enfants, des projets, perdent des enfants ou des maisons quand la terre tremble et avec ces maisons ou ces enfants, des perspectives.

Nous avons pris le pari de ne pas hiérarchiser l’Histoire. De lui donner un autre contenu, plus partagé car nous pensons que c’est seulement quand nous serons capables de nous écouter et de nous reconnaître dans la brutalité de nos expériences que nous pourrons envisager un futur commun, pas idéal, mais plein de la richesse et des fragilités de tous. (…)

Tous ces éléments cousent une tentative de raconter l’Histoire autrement non seulement du Chili, mais aussi de l’Humanité. Une histoire partagée dans le fracas des antagonismes et des blessures à jamais ouvertes, en pensant l’Histoire non plus comme une boulet à traîner ou comme un futur que d’autres s’apprêtent à nous projeter, mais simplement comme un moment à partager et où chacun en définitive trouverait sa place, sa place à lui, sa place légitime dans l’histoire des gens de ce pays et du monde.

Lorent Wanson

06 septembre 2010