Les processus de création en immersion conduisent fatalement, et c'est là l'intérêt, à des projets qui se structurent de façon différentes, voire contradictoires. Depuis que nous avons entamé ce travail sur la parole de l'altérité, nous n'avons cessé de chercher plus avant, tant sur les fonds que sur les formes, un cadre pour rendre compte de la façon la plus honnête de cette parole et des questions que ces paroles renvoient au monde. (…)

L'immersion est un processus à la fois passionnant et bien souvent frustrant et c'est quand il devient frustrant qu'il est parfois le plus juste. Ce que nous attendions d'une rencontre ne se révèle pas et nous sommes conduits à nous remettre à nu une nouvelle fois, mettre les certitudes acquises par les expériences précédentes à la poubelle de nos certitudes et chercher avec patience un autre chemin, qui tentera de répondre avec justice aux réalités nouvelles.

A un moment du processus apparaît une voie, qui recadre le projet et prend un grand temps avant de s'imposer, une voie qui nécessite de nouveaux outils pour remettre en chantier à la fois le comment dire l'autre, et le pourquoi dire l'autre. Quel est le cadre à fonder où s'exprimeront les contradictions des êtres et la contradiction-même de la démarche ? (…)

L'immersion est donc une plongée dans l'autre. Elle a fatalement quelque chose de compassionnel que j'ai longtemps refusé d'admettre, elle érige parfois la maladresse comme exemplaire, elle fantasme un endroit possible de reconnaissance et de réécriture de l'Histoire. Mais cela ne reste qu'un fantasme qu'à l'inverse des publics, les spécialistes de tous poils, sociologues, historiens, dramaturges, ethnologues, linguistes, philosophes et par extension tout ce qui pense en dehors, méprisent. C'est et ce sera un débat toujours passionné et passionnant sur lequel je suis aujourd'hui partagé... Mais comme ils ne supportent pas l'idée qu'une pensée puisse surgir du néant, je ne supporte pas l'idée de l'expropriation de la parole et de la pensée, et toute fixation de lois sur celle-ci. C'est de fait, absoudre toute possibilité de démocratie dynamique, de redéfinition du rôle d'expert et ainsi de suite de réévaluation des rapports de force.

On m'a souvent félicité de ma capacité à écouter et à intégrer les critiques. Je n'ai ni une pensée ni un processus de pensée figé. C'est bien entendu aussi une faiblesse, une fragilité, car mes référents sont fatalement tout aussi mouvant. Pas de colonne vertébrale sans la moelle qui la remplit. Et c'est et ce sera toujours la moelle qui me passionne. J'aime le danger de la pensée, j'aime créer des cadres qui ne résolvent pas mais ouvrent. J'aime quand une petite chose que j'entends à voix basse dans un café populaire bouscule ce que Levi Strauss vient de me livrer dans une page laborieuse et sublime. (…)

Au Chili, lors des immersions que j'y ai effectuées, j'ai ressenti les manques inhérents aux démarches précédentes. J'ai eu le besoin de repositionner une nouvelle fois les questions de l'Histoire, de l'Identité, de la Réalité, et de la place de la parole des gens. Historia Abierta est ainsi construit à partir d'une structure provocante et complexe qui se veut tout à la fois une proposition pour envisager le monde autrement (ni globalisante et ni définitive) et de déboulonner l'humanisme un peu naïf de mes précédentes propositions pour le regarder avec des yeux différents et multipliés.

Lorent Wanson - Metteur en scène