Les héros de cette pièce ne sont pas des pauvres, ni par leur caractère ni par leur vie quotidienne. Ils sont les citoyens d’un pays ruiné.

Tous les personnages de cette pièce sont des enfants. Selon les besoins de l’histoire, ils vieillissent et rajeunissent. Parfois, ils changent de sexe. Rien d’étonnant à cela.

Les acteurs en revanche ne sont pas des enfants. Dans cette pièce, ce sont des adultes qui jouent aux enfants qui, à leur tour, jouent aux adultes. Cela n’a rien d’étonnant non plus.

Il y aura suffisamment d’autres raisons de s’étonner.

Le théâtre est impossible à lire, et cette pièce là, je l’ai lue jusqu’au bout. En plus c’est une femme, serbe, qui l’a écrite, et surtout, qui a écrit cette chose assez drôle :
« Voïn : Bien mon fils, répète ce que nous avons dit : comment un homme intelligent doit-il se comporter ?
Andria : Un homme intelligent respecte la règle : la tête dans le sable, le cul contre le mur Voïn : exact. Et qu’est-ce qu’il ne doit pas faire ? Jamais et à aucun prix ?
Andria : Dire ce qu’il pense.
Voïn : Exact. Et à qui ?
Andria : N’importe ! A quiconque.
Voïn : A quiconque mon fils, à quiconque. Le même comportement envers tous : je ne vois pas, je n’entends pas et surtout, tout spécialement et tout particulièrement : JE NE PENSE PAS
…….

Ce sont des histoires de famille, un thème récurent dans l’histoire de l’humanité. « Familles je vous hais ». Les familles sont tout aussi haïssables en Serbie qu’à Paris. Et en plus c’est une famille jouée par des adultes qui jouent aux enfants qui jouent aux adultes. L’auteur, désinvolte, dit que ça ne pose aucune problème, c’est comme ça. Alors on va essayer de faire que ce soit comme ça, même si c’est impossible. Et il y a un chien aussi, qui n’est pas vraiment un chien. Papa, Maman, le petit enfant et un chien. C’est bien.
…….

Les acteurs qui disent être devenus acteurs pour éveiller leur âme d’enfant, ça me fait bien rire. N’essayons pas trop de chercher l’enfant en nous ; s’il vient, il vient, mais foutons lui la paix, foutons la paix aux enfants !

De toutes façons pour un acteur, jouer un chien c’est pas mal. Et puis un chien, on peut lui donner des coups de pied, ça s’insulte, ça se dresse, c’est dressé pour mordre…
…….

Histoires de famille n’est pas loin du soap. Le soap est devenu un genre en soi –surtout depuis que le western et le film noir ont disparu- mais rarement traité au théâtre. La pièce de Biljana Srbljanovic est construite en épisodes, on n’y meurt jamais, les personnages s’amusent à se tuer, mais ne meurent jamais. On n’est pas tout à fait dans la réalité. Même si la réalité est souvent filmée comme un soap.
…….

Je n’ai pas envie de faire un grand spectacle sur l’humanité en général. C’est une petite pièce, avec quatre personnages. Si les gens y voient un reflet de l’humanité, alors tant mieux. Mais je ne vais pas leur asséner à coups de maillet. Je n’ai pas envie non plus d’en faire du théâtre du quotidien comme c’est la tendance en Allemagne en ce moment. Ni du théâtre à thèse. Le théâtre ne peut pas aborder le genre humain dans sa globalité, ni les gros problèmes politiques. Il n’est pas en avance (mis à part de rarissimes visionnaires) ni en retard sur les choses : il accompagne, il est le reflet de l’air du temps. Alors restons simples, l’auteur est serbe soit, ce n’est pas une raison pour lui faire dire plus de choses qu’elle n’en écrit.
…….

Racontons la fable, ce n’est déjà pas mal. Et puis laissons la place aux gens. Les pièces doivent être pleines de trous dans lesquels les spectateurs-créateurs peuvent s’engouffrer. Ne leur donnons pas de leçons. Laissons les rêver, ne les surchargeons pas de contexte historique. On devrait tous aller vers le comique, il faut réhabiliter Buster Keaton.

André Wilms
décembre 2001