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Accueil de « Histoire de la violence »

: Notes d'intention

par Laurent Hatat

La scène du crime


Nous rêvons la scène comme un miroir brisé. Un écran infidèle, seul apte à nous rendre ce qu’on nomme la « réalité » en laissant transparaitre ce que cette « réalité » tente de recouvrir : les failles, les blessures, les hontes et les aveux brûlants. Et encore la vacuité, la contradiction et le désir. Et surtout le désir, l’anima de l’être humain, pourtant dénoncé comme un crime.


Le roman de la violence


«J’ai rencontré Reda le soir de Noël 2012, alors que je rentrais chez moi après un repas avec des amis, vers quatre heures du matin. Il m’a abordé dans la rue et j’ai fini par lui proposer de monter dans mon studio. Ensuite, il m’a raconté l’histoire de son enfance et celle de son père qui avait fui l’Algérie. Vers six heures du matin, il a sorti un revolver et il a dit qu’il allait me tuer. Il m’a insulté, frappé, violé. Le lendemain les démarches médicales, policières et judiciaires ont commencé, qui, plus qu’elles ne réparent la violence, la prolongent et l’aggravent.» Voilà ce que nous dit Edouard.


La violence du corps


Nous nous emparons de ce roman sans pudeur, parfois décrit comme brutal voire indécent, et pourtant si sensible, courageux à nos yeux, empli d’amour assurément. Avec cette « œuvre au rouge » le chemin vers la scène est une évidence : notre projet est d’incarner l’effroi que procure le roman d’Edouard, d’explorer les débats intimes, sociaux, politiques qu’il ouvre, et au delà de l’intelligible de créer l’espace où les corps parlent, dans toute leur splendeur, dans toute leur violence. C’est un théâtre charnel, qui sait quitter le langage, les mots pour retrouver une puissance des corps que nous souhaitons.


La place des autres


Dans les heures qui suivent, les amis d’Edouard l’accompagnent à travers ce qu’il appelle le ralentissement du temps, la folie des mots, la peur de la peur et la peur de sa peur... Et un an plus tard, Edouard, en visite dans sa campagne d’origine, se confie à sa sœur. Puis, caché derrière une porte, il l’écoute, elle raconte l’histoire de la violence à son mari. C’est cette situation concrète qui sera notre point de départ.


La voix dans la nuit


Le récit fait résonner les voix d’Edouard. Elles se dédoublent en deux discours simultanés : l’un plus réflexif avec le recul de l’écriture. Ici nous ferons résonner la propre voix de l’auteur Edouard Louis, comme un aller retour troublant entre le réel et sa fiction. L’autre discours n’en est pas un, c’est la voix de l’instant présent, incarnée par le comédien qui interprète Edouard, toujours en tension avec Réda, toujours soumis aux nécessités des corps. Clara, elle aussi, est incarnée, c’est la narratrice implacable de l’éloignement choisi d’Edouard, de son  « abandon  ». Elle évoque l’enfance d’Edouard et à travers elle, elle exprime la violence exercée et subie du transfuge social. Sa voix, loin d’être sociologique, donne toute son ampleur à l’oralité. Une théâtralité crue, directe, souvent cruellement drôle se fait entendre.


D’autres voix dans la nuit


À travers ces voix sauvages, on entend aussi la mère « avec qui l’on est fâché », les amis si proches, si loin mais aussi les médecins et les policiers, tous professionnels de la violence, et tous ils semblent la refléter plus qu’ils ne l’absorbent. Dans cette polyphonie éclatée l’action se déroule, traversant les effets du racisme, de la misère, les mécanismes judiciaires auxquels les victimes sont confrontées ou encore sur le rôle de l’amitié. Les voix sont concurrentes, envahissantes. Le travail précis et sensible de l’univers sonore concoure à la submersion de la présence singulière d’Edouard.


L’espace et les corps


Sur le plateau vide, violenté par des lumières sans concession, le trio Clara, Edouard, Reda est en lutte. La sœur nous parle directement, nous sommes son  « mari  » silencieux et circonspect. Edouard est écartelé entre l’écoute de cette sœur dévorante et la présence réelle et obsédante de Réda. Les récits du récit s’entremêlent, se confrontent et se fracassent. Les corps de Réda et d’Edouard, inondés de la parole des autres, nous font vivre la nuit d’amour et de violence. Les images se construisent à partir des corps des interprètes. Nous cherchons cet endroit où l’humanité peut se dire à travers les corps, et à travers la parole qui les traverse : le corps dans sa poésie et sa grâce, le corps dans son désir, dans sa joie, dans sa force et sa fragilité.



Un théâtre de rupture


L’Espace vide, les lumières crues, l’adresse public, le mouvement des corps, l’eau, le sang, la présence envoutante des voix, l’esthétique qui se dessine est celle d’une performance. À la croisée du verbe de Jean-Luc Lagarce et de l’analyse de Didier Eribon, la force et la pertinence du texte traverse tout le spectacle. À l’instar de ce roman inclassable, notre scène est un miroir transgressif.

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