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Hetero

+ d'infos sur le texte de Denis Lachaud
mise en scène Thomas Condemine

: Note d'intention

Dans l’espoir de mieux comprendre les raisons de mon émotion à la première lecture de la pièce, je me suis lancé dans les recherches sur les différents courants de pensée qui s’affrontent sur la question du genre (Homme / Femme). C’est à cette occasion que je suis tombé sur cette phrase de l’une des fondatrices du Mouvement de Libération de la Femme, Monique Wittig : « La transformation des rapports économiques ne suffit pas. » Ces quelques mots, lâchés au milieu d’un discours militant pour l’égalité des sexes, résonnaient comme une nécessité de toute première importance. « Cherchons un moyen de changer les consciences de façon plus profonde » avait-elle l’air de dire.


Dans le climat de crise que nous traversons actuellement, la fonction du théâtre est plus que jamais, à mon sens, d’entretenir ou de réveiller l’espoir qu’un tel changement est possible. J’aimerais en tout cas faire un théâtre qui, joyeusement, communique l’envie d’ouvrir une porte de ce côté là.


Cette volonté joyeuse d’amorcer un changement en profondeur, je l’ai très fortement ressentie dans le texte de Denis Lachaud : il veut nous communiquer cette force là. Avec un humour féroce, il nous plonge dans un monde unisexe pour mieux nous montrer à quel point nous sommes encore aujourd’hui porteur d’un héritage qui nous dépasse et qui repose, qu’on le veuille ou non, sur l’idée d’une différence entre les sexes. Il s’amuse à faire la peinture d’un monde cauchemardesque et absurde (le nôtre), juste pour le plaisir d’y catapulter un être porteur d’une volonté de résistance. Et, c’est là que la pièce est belle et terrible : ce personnage de résistant, l’auteur le fera mourir à la fin de la pièce, seul moyen qu’il vive à jamais dans le coeur du spectateur.


La pièce agit sur nous comme un CHEVAL DE TROIE, comme une machine de guerre qu’on introduirait dans nos convictions intimes les plus profondes pour les déstabiliser et mieux les attaquer. Au départ, on regarde avec un peu de distance ce monde peuplé uniquement d’hommes. Nous sommes, semble-t-il, dans l’univers du conte. Puis, peu à peu on réalise que ce monde ressemble un peu au nôtre : une société en crise dans laquelle il faut se battre pour trouver sa place ; une population qui adhère sans ciller à une dictature de l’esthétique, une jeunesse en perte de repères… Un processus d’identification, qu’on soit un homme ou une femme, commence… Bientôt nous voilà habitués au miroir déformant et le spectre d’une réflexion plus large et plus intime se dévoile : d’une critique de la condition de la femme dans notre société, on glisse progressivement vers une remise en question totale de notre schéma politique et social.


Remarquer le phénomène insidieux et progressif tout particulier par lequel la pièce devient opérante est pour moi une source d’inspiration intarissable pour la mise en scène. Cette dynamique du cheval de Troie, ce dynamitage du monde par l’intérieur, cette sorte de phénomène d’implosion me semble intéressante à développer pour partager avec le spectateur les questions politiques qu’aborde la pièce.


L’espace doit être pensé dans cette dynamique. J’aime imaginer comme point de référence de l’espace, l’appartement des pères : un salon bourgeois en NOIR & BLANC, porteur du triomphe de la tradition ancestrale. De cet espace, fait de murs en papier, surgiraient les autres espaces accompagnés de jets de peinture MULTICOLORES, comme autant de tentatives de donner naissance à un monde nouveau.


Le cheval de Troie est aussi dans la langue de Denis Lachaud : le texte allie sans cesse une trivialité très actuelle à une dimension ancestrale. Celui qui lit attentivement voit bien que cette langue, qui oscille entre formulations archaïques et accidents de langage, a quelque chose à cacher… si drôle soit-elle, la langue de Lachaud, n’est qu’un simulacre, un MASQUE pour cacher la barbarie du monde. Le rire n’est jamais loin du tragique, et inversement.


Pour que les acteurs puissent marcher avec les spectateurs sur un fil tendu entre comique et tragique, j’ai choisi de poursuivre mon travail sur un style de jeu masqué (maquillé pour être exact). Il est le fruit d’ateliers de recherche organisés dans le but d’allier deux types de jeu apparemment contradictoires : le jeu du Théâtre dit « de texte » (qui exige un travail sur le sens, la poésie de la langue…) et le jeu masqué (qui demande une transgression des règles du Théâtre classique : pas de 4ème mur, improvisation…).


Les personnages d’Hetero seront donc des sortes de Clowns blancs, ils porteront un maquillage NOIR & BLANC, au carrefour esthétique de différentes influences traditionnelles (Butoh, masque neutre, commedia, clown de cirque…), et donneront ainsi au texte toute sa dimension ancestrale. Mais, ces Clowns puiseront aussi leur force dans la trivialité dérisoire du quotidien, de notre époque. En effet, l’auteur dessine des personnages qui portent des vêtements d’aujourd’hui, qui boivent du café le matin et vont travailler. A mon sens, ils vivent même à tel point dans notre époque, qu’ils se sont laissés envahir par elle. Pour être certain d’en faire partie, ils sont allés jusqu’à renoncer à leur volonté particulière pour se plier à une norme dominante injuste.


Ce maquillage NOIR & BLANC, ce masque de faux semblant lisse et épuré, est un support poétique qui permettra aux acteurs de partager par le jeu avec le public l’absurdité d’un tel renoncement.


Les acteurs et leurs masques, seront peu à peu éclaboussés de peinture MULTICOLORE par les changements successifs de l’espace, offrant progressivement au public un visage nouveau, plus humain. Ainsi, malgré la mort du seul personnage porteur d’une action de résistance, malgré le triomphe des pères et de leurs conceptions archaïques, le décor et les visages, eux, raconteront une victoire : celle de l’Art, du désir immortel d’indépendance et de résistance qu’il communique.

Thomas Condemine

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