Les mots peuvent-ils tuer ? Ont-ils la force d'une arme ou peut-être plus encore ? Hate Radio raconte la journée ordinaire des journalistes de la Radio-Télévision Libre des Mille Collines en 1993 à Kigali, capitale du Rwanda, au moment où se met en marche l'épouvantable génocide qui frappera des centaines de milliers de Tutsis et de Hutus modérés. En nous plongeant dans leur studio d'enregistrement, Milo Rau nous fait entendre, dans un huis clos hyperréaliste et sans échappatoire, la haine ordinaire et l'excitation, mêlées d'une incroyable légèreté, de ces « criminels de la parole ». C'est dans la joie d'une musique entraînante – les meilleurs tubes des années 90 – que se développe leur pensée exterminatrice. Une pensée qui joue avec les mots, détournant leur sens pour toucher l'inconscient des auditeurs, qui devinent ce qui se cache derrière les fines plaisanteries réduisant les « ennemis » à l'état de « cafards » ou de « cancrelats ». La chasse aux animaux nuisibles est ouverte dans ce studio où, entre deux appels au massacre, on boit, on fume, on rit, on danse sur ce volcan qui crache une lave de sang. Tout est vrai dans cette arène reconstituée par Milo Rau : les mots ont été prononcés, les personnages existent et ont tous raconté leur action lors des procès qui les ont conduits en prison. Interprétés par des comédiens qui ont eux-mêmes été touchés par ces événements, ils sont là, près de nous, dans la cage de verre de cette radio de la haine où s'invente un génocide postmoderne. Transformés en auditeurs, nous voilà entraînés dans l'hystérie sanglante de ces diaboliques manipulateurs. Apostrophés par un théâtre qui nous permet d'appréhender le racisme par ses conséquences, et en appelle, sans relâche, à notre vigilance. JFP