theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Harper Regan »

Harper Regan

+ d'infos sur le texte de Simon Stephens traduit par Dominique Hollier
mise en scène Lukas Hemleb

: Entretien avec Lukas Hemleb

Propos recueillis par Pierre Notte

Elle a quarante ans, un travail honnête, une vie de couple, et un soudain besoin d’entrer dans l’inconnu. Déflagration intérieure. Harper Regan vit sous pression, sous un assemblage composite d’une succession d’oppressions. Pression familiale : son adolescente de fille fait sa crise, son bonhomme de mari a perdu son boulot. Tous ont dû déménager. Pression professionnelle : elle assure seule l’intendance de la maison, et son patron lui refuse un jour de congé pour voir son père mourant. Voyage initiatique d’une quarantenaire déphasée, Harper Regan fait émerger de l’extraordinaire dans les impasses du réel. Rencontres tendres, bouleversements intimes, impulsions libératrices, l’héroïne fait face à l’ordinaire cruauté du banal. Elle fait front, part en guerre contre ses propres résignations, et terrasse les monstres d’un quotidien étouffant. Elle sort grandie, sans violence, attendrie et vivante d’un insolite parcours imaginé par le dramaturge anglais Simon Stephens.

Harper Regan, figure d’une pression composite


Dans un laps de temps très court, Harper Regan va vivre des moments extraordinaires, des instants qui vont l’extraire de son quotidien, des heures libératrices, et des moments de destructions. C’est inexpliqué, cela reste inexplicable, et le surnaturel fait irruption dans un monde concret. La pièce se compose de plusieurs superpositions de pressions. L’ensemble forme une pression composite. La première pression est celle du travail, puisque Harper Regan, femme de quarante ans, travaille pour entretenir sa famille, car l’homme a perdu son travail. Il existe une autre pression du côté du père, qui meurt sans que Harper Regan puisse le voir une dernière fois. Ce rôle du père s’avère aussi étrange et passionnant, puisque le lien puissant que la fille entretient avec lui est mis en doute par la mère, à la mort du père. Elle était jusque là convaincue d’avoir son père de son côté, qu’elle pouvait compter sur son appui inconditionnel. Et la voilà qui s’enlise dans des sables mouvants, à chacun de ses pas. Elle est sans cesse bousculée. Toutes ces pressions ajoutées les unes aux autres provoquent pour finir une déflagration intérieure qui poussera Harper Regan vers d’autres choses, d’autres lieux inconnus. De la même manière, en tant que spectateurs, nous sommes habitués à des archétypes de crises présentes dans la littérature dramatique dès qu’il s’agit de la famille ou du couple. Le noyau familial est toujours synonyme de déchirement. Ici, les situations que crée Simon Stephens nous détournent vers un ailleurs inattendu. Il propose par exemple une scène où deux personnages se rencontrent après un échange sur Internet. Nous sommes conditionnés à nous confronter à quelque chose de sordide, de glauque. Or, il se passe autre chose. Il ne s’agit pas d’une simple peinture du quotidien ; les personnages dépassent les conflits ordinaires et les situations banales.


Les silences et le bruit des avions


Je choisis les comédiens, notamment Marina Foïs ou Gérard Desarthe, pour leur capacité à traquer et à trouver le sens des silences, des non-dits, la présence entre les mots pour constituer un univers et composer des personnages en-dehors des mots. Je ne veux pas dévaloriser la parole, je veux mettre en avant ce qui arrive entre les lignes. Ici, le temps n’est pas le temps normal, il est comme suspendu, tout se passe dans les entrailles des protagonistes. Il faut trouver une plénitude corporelle, charnelle, qui n’apparaît pas dans le dialogue mais dans les silences. Il ne sera pas question de raconter cette pièce par une succession de tableaux naturalistes.
Nous allons devoir trouver une logique simple, faire en sorte que les éléments se métamorphosent, deviennent des relais entre les vies intérieures des personnages et les lieux où ils se retrouvent. Je ne pense jamais en terme de tableaux ou d’images, je me sens plus proche du texte, des mots. Mais je me souviens avoir visité il y a quelques temps une maison en banlieue parisienne. Son seul défaut était de se trouver à côté de l’aéroport d’Orly. Elle en était si près qu’au passage d’un avion, il faisait presque nuit dans le jardin, et les vitres des fenêtres se mettaient à trembler. Le bruit rendait toute conversation impossible. Il y a quelque chose de cela dans la maison de Harper Regan : une menace récurrente.


Un monstre de climat


Je suis d’origine allemande, je suis installé à Paris, mais j’ai une attirance pour le théâtre anglais contemporain. On peut observer une ligne invisible de démarcation entre le monde de l’Europe de langue latine, et cette Europe du nord où l’on parle les langues scandinaves, germaniques ou anglosaxonnes. Les différences sont importantes, et l’écriture dramatique des anglais m’intéresse particulièrement. J’ai été interpellé par la thématique de cette pièce, son atmosphère. Cette écriture proche des comédiens, n’a rien à voir avec le code théâtral contemporain. La vie déboussolée des individus dans un contexte social ou familial est souvent représentée avec violence, avec des excès sordides ou des traits grossiers, appuyés. J’aime la délicatesse, l’intelligence, l’élégance de cette pièce, cet univers en suspension, où la crainte du pire affleure toujours, mais où demeure un espoir, une lumière. Tout ne sombre pas dans le néant ou le négatif. Ce qui me semble monstrueux aujourd’hui, c’est l’impossibilité partagée de situer le monstre, de l’identifier.
Nous vivons dans une suspicion où chacun semble s’interroger sur le mal, d’où il vient, où il se cache.
Cela crée un climat particulier que je retrouve dans la pièce. Une certaine lumière émane pourtant du propos et de l’énergie des comédiens. Ce n’est pas une pièce particulièrement claire, mais elle n’est pas sombre, elle est sismique : elle détecte et fait se frotter les plaques sismiques des êtres. Ce n’est ni noir ni froid, c’est salutaire.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.