: Paroles d'auteur
par Juan Mayorga
Le joueur de flûte de Hamelin a toujours été pour moi un conte terrifiant. Un conte dans lequel une ville reçoit le
pire des châtiments. Oui, je sais qu'il y a une version moins terrible : pour donner une leçon au maire avare, le
musicien emmène les enfants. Le bon peuple oblige le maire à payer ce qui était promis, les enfants reviennent et
Hamelin sourit à nouveau. J'ai entendu très souvent cette version, sans jamais arriver à y croire. Jusqu'au jour ou
quelqu'un me l'a raconté d'une autre façon : tous les habitants de Hamelin partagent la faute mais quand ils
veulent la réparer il est trop tard, les innocents ne reviennent jamais.
Cette version plus âpre du conte est plus vraisemblable, elle ressemble plus au monde dans lequel nous vivons.
Dans notre monde les enfants sont les premiers à payer. Ils payent pour les vices, la violence, la mauvaise
politique, les mensonges des adultes. Dans ce sens, ce Hamelin qui ne sait pas protéger ses enfants est comme
beaucoup de villes de notre monde.
Je me proposais de raconter le conte d'une de ces villes. Bien sûr, la première fois que j'y ai pensé, à ses divers
espaces, à ses nombreux personnages, j'ai hésité. C'est pour le cinéma me suis-je dis, cela ne peut pas être du
théâtre.
L'affirmation : Cela ne peut pas être du théâtre vient d'une vision réductrice du théâtre dont nous sommes peut-être
en bonne partie responsables, nous qui faisons du théâtre. Nous avons abandonné tant de tranchées, tant
de positions, que le théâtre en est arrivé à nous paraître incapable de représenter autre chose qu'une petite
portion de l'expérience humaine.
Face à : cela ne peut pas être du théâtre, il faut affirmer, non pas en théorie mais dans la pratique scénique, que
le théâtre peut tout représenter. A condition de ne pas trahir son origine. L'origine du théâtre, et sa plus grande
force, est l'imagination du spectateur. Si le théâtre fait du spectateur son complice, il est imbattable comme
moyen de représentation du monde.
Juste avec des mots et avec la complicité du spectateur, Sophocle, Shakespeare ou Calderon pouvait
transformer la petite scène en une ville envahie par la peste, une tempête en mer ou un château en Pologne. Ils utilisaient les mots comme ces conteurs capables de créer par la force de la parole une chaussure de verre ou
une forêt. Comme font les enfants, qui, juste en les nommant, font advenir ici et maintenant n'importe quel lieu et
n'importe quel temps.
Mon père me racontait qu'il allait dans une école si pauvre qu'il devait apporter sa chaise de la maison. Hamelin
est une oeuvre de théâtre si pauvre qu'elle a besoin que le spectateur apporte, avec son imagination, la
scénographie, les costumes et beaucoup d'autres choses en plus. En échange, elle lui propose d'entrer dans le
conte, depuis le « Il était une fois » jusqu'à « ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants ». Le conte d'une ville
qui ne sait pas aimer ses enfants. Peut-être le conte de votre ville.
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