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Grand Palais

mise en scène Pascal Kirsch

: Présentation

Héros tragiques.


Francis et Georg sont les deux voix qui sourdent de cette pièce composée à quatre mains par Julien Gaillard et Frédéric Vossier. Deux soliloques, comme deux longs corridors, et un court dialogue évoquent les traces laissées par la mort violente de Georg, le modèle, quelques heures avant l'inauguration au Grand Palais de l'exposition de Francis, le peintre. Les traces de cette disparition sont partout : sur les visages des vivants, dans les lieux souvenirs d'une vie à deux, dans les œuvres de celui qui reste. Elles remuent dans la mémoire. À la manière d'une Lady Macbeth, elles sont une tâche qui ne veut pas disparaître.


Un dangereux cocktail de culpabilité, de domination.


Issue d'une histoire d'amour tumultueuse, Georg Dyer met fin à sa vie dans l'hôtel parisien qu'ils occupent avec Francis Bacon venu à Paris pour y être consacré par une exposition au Grand Palais en 1971. Bien que séparés, ils sont venus ensemble : Georg est le modèle principal de la plupart des toiles. Il est « partout », ou presque. La veille de l'inauguration, on retrouve son cadavre dans la salle de bain de la chambre. L'annonce sera différée pour ne pas éclabousser le prestigieux vernissage et le dîner d'inauguration, dans une brasserie parisienne célèbre, ne sera pas annulé. Francis gardera le secret encore quelques heures et devra commenter pour les puissants les déformations qu'il a opérées sur le corps et le visage de celui qui désormais n'est plus.


Modèle et Euménide.


Durant leur sept années de vie commune et encore après sa mort, Georg est le modèle principal de l’œuvre de Francis. Ils s'étaient rencontrés une nuit, dans un bar qu'aimait fréquenter Francis. Georg, qui avait grandi dans l'East End de Londres, avait passé jusque là sa vie entre les vols auxquels il participait et la prison. Il se retrouve dans la haute société londonienne sans pourtant jamais s'intégrer au groupe des intimes de Bacon. Il n'a bientôt plus besoin de rien faire pour subvenir à ses besoins. C'est Francis qui pourvoit à tout pour lui.


La mort de Georg, mais aussi son corps, hanteront pour longtemps encore, peut-être jusqu'à la dernière heure, Francis et la peinture de Bacon. Étrange pied de nez du destin pour un artiste fasciné par la tragédie grecque et particulièrement Eschyle et son Orestie. La dernière pièce de la trilogie, Les Euménides, lorsque Oreste est poursuivi pour son crime par les Érinyes puis jugé, deviendra un thème décisif de l'œuvre de Bacon.


Est-ce le modèle qui rêve le peintre ou le peintre qui crée le modèle ?


C'est la question qu'éveille la pièce où l'on ne peut démêler qui rêve qui, quelle est la figure originale et qui l'ersatz. On ne peut distinguer si c'est le peintre ou le modèle, ou la figure peinte qui constitue l'espace mental de la pièce. Le lieu, comme les limbes grecques, pourrait être l'atelier du peintre ou bien son sommeil ou au bord de cet autre sommeil qu'est la mort, la mort qui vient, la mort qui s'empare du corps : celui de Georg, certainement, mais peut-être aussi celui de Francis.


Poème dramatique.


Plutôt que d’interpréter ce moment de fêlure, les auteurs s'attachent à peindre, par l'écrit.


Grand Palais est une pièce sur l'acte même de création et le lien qui l'unit aux remords, à sa « créature ». Julien Gaillard et Frédéric Vossier se sont répartis l'un la voix de Francis, l'autre celle de Georg. Singulier pari de mêler deux écritures, sans toucher à l'intégrité de l'une ou l'autre. Il en jaillit une pièce-poème modelée agilement de deux langues aussi fortes que singulières. Deux écritures qui traversent l'œuvre de Bacon, sa célèbre iconographie qui jonchait le sol de son atelier à Londres, qui vampirisent le dénouement tragique d'une violente histoire d'amour.


Les liens de l'écriture à leur modèle – la vie et l'œuvre de Francis Bacon – sont saisissants : les deux figures, Francis et Georg, et par conséquent les deux écritures, sont apposées et non pas conjuguées. Chacune est isolée à la manière d'un diptyque, à l'exception d'un passage dialogué, et le sens fluctue selon que l'on regarde/écoute l'une ou l'autre partie du diptyque, ou les deux.


Cet isolement des deux partitions de Francis et de Georg permet également de conjurer le caractère figuratif, illustratif, trop narratif du fragment de vie, du fait divers, décrit plus haut.


L'écriture ici invente un rapport du rythme avec la sensation. Il ne s'agit pas de reproduire ou d'inventer des formes, mais de capter des forces, d'enregistrer des instincts. On y reconnaît les terrains de jeu du diable Bacon : anges écorchés, viande, carcasses, chair, têtes, anatomie, dissections, autopsies, sexe. Corps mus par des mouvements réflexes, des diarrhées, vomissements, spasmes, contractions, rires, sourires, éclats de rire, toux, cri, coups, orgasmes et éjaculations. Dans Grand Palais, il s'agit, par la langue, d'atteindre le spectateur directement, d'attaquer son système nerveux. Sans histoire, sans long discours, sans passer par le cerveau.

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