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: Rencontre avec les metteurs en scène Frédéric Jessua et Isabelle Siou

Avec le Grand Guignol, tout spectateur devient un voyeur ; qu’il en soit conscient ou pas. Il sait très bien ce qu’il va voir et pourquoi il y va. Pour moi, tout le travail, tout le jeu, consiste justement à le surprendre. Le Grand Guignol, c’est l’art de gérer la frustration : il va arriver quelque chose, on en est certain, mais on ne sait pas quand. C’est sa principale force : il place irrémédiablement l’acteur et le spectateur dans une position inhabituelle : un rapport direct, sans filtre, complice, entre une personne qui joue et une autre qui regarde. C’est enfantin. A notre époque, confortablement assis ou en mouvement, les yeux rivés sur nos écrans, grands, petits et de poche, on a tout vu et entendu… Aujourd’hui, plus encore qu’avant, le théâtre en général, mais le Grand Guignol en particulier est en mesure de proposer une expérience au spectateur ; sans distance bien sûr… Ainsi, mon travail sur une pièce commence donc par la résolution des énigmes proposées par les auteurs. Ce que demande le Grand Guignol, c’est un cadre où les solutions ne sont pas visibles ; tout est enfoui, tout semble normal, attendu, presque conventionnel; et puis, tout se dérègle, s’emballe jusqu’au chaos. Je m’appuie pour cela en premier lieu sur un travail de direction d’acteur que j’aime qualifier de concret et d’inattendu tout en respectant le rythme imposé par l’écriture. Ce travail de direction d’acteur est vain s’il ne s’accompagne pas d’une relation privilégiée avec les techniciens ; ce sont eux qui accompagnent, soutiennent les acteurs dans leur quête du vrai sur la scène. C’est ainsi que j’accorde une grande importance au détail, tant au niveau du choix des teintes et des matières, pour les éléments constitutifs du décor et des costumes, mais également à celui des accessoires et du mobilier, participant grandement à l’excentricité. Pour la lumière, j’aime combiner la présence de sources naturelles (lampes d’appoint, éclairages réalistes…) à l’utilisation de projecteurs classiques afin de disposer d’ambiances très contrastées; là encore il s’agit de jongler avec l’étrange et le familier.


Frédéric Jessua
mise en scène de L’amant de la morte et de Les Détraquées.




Loin d'être méprisable, le Grand Guignol va bien au-delà de l'idée simpliste que l'on peut s'en faire au premier abord. Comme pour la poésie, c'est en lisant à voix haute les pièces que j'ai découvert l'univers burlesque, tragique et passionnant de ce genre. Ces auteurs bourgeois auscultent l'âme humaine de manière étonnante. Derrière des personnages attachants et qui nous ressemblent, se cache la folie. Les pièces du Grand Guignol mettent à nu nos peurs les plus enfantines, nos désirs les moins glorieux. Elles proposent une spirale tragique dans laquelle sont entrainés tous les personnages. La comédie, humaine et non caricaturale, est omniprésente et délicieuse à découvrir. Je pourrais la comparer aux comédies sociales anglaises. Ou aussi à cette âme slave, à fleur de peau qui « aime à en mourir ». Alors comment convaincre les sceptiques que ce théâtre est loin d'être un « sous-genre »? Comment faire croire à chaque situation? Et comment trouve-t-on la distanciation théâtrale, sans casser ce réalisme? Je crois vraiment que l'aspect technique est très important. La recherche des accessoires et des décors est donc une étape primordiale. Ce point de départ me permet de figurer avec poésie une époque, un lieu. Un plateau poétisé par son réalisme ancien c'est, non seulement un appui de jeu important, mais aussi une distanciation naturelle pour les spectateurs et les acteurs. Dans mon précédent travail sur le Grand Guignol, je suis arrivée pour les répétitions avec tout mon décor et mes accessoires. Nous avons commencé par écrire l'abc de chaque scène, la manipulation de chaque accessoire. Dans un deuxième temps nous nous sommes attachés à trouver un rythme enlevé et sans fioriture, clef de voute de cette écriture. L'émotion découle logiquement de tout cet assemblage. C'est grâce à ce cadre solide que les comédiens peuvent faire évoluer leur jeu. Et entraîner les spectateurs dans ce mélange étonnant de comédie et de tragédie.


Isabelle Siou
mise en scène de Le Baiser de Sang

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