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Grâce à mes yeux

+ d'infos sur le texte de Joël Pommerat
mise en scène Joël Pommerat

: A propos de la pièce

Au théâtre, j’ai acquis cette certitude que le travail d’écriture ne s’arrêtait pas une fois le dernier mot inscrit sur la feuille. La présence des acteurs, un espace particulier, une lumière particulière, une certaine qualité de silence même de bruit, peuvent évidemment enrichir (ou réduire) la compréhension d’un texte, rajouter du sens (ou en retirer). C’est pour cela que je considère le travail de la mise en scène comme un temps de l’écriture à part entière. De ce fait je ne me sens pas auteur-metteur en scène mais auteur tout court. Lorsque je fais travailler des acteurs : je continue d’écrire ma pièce, lorsque nous travaillons la lumière également, etc… Le dernier temps de l’écriture c’est la rencontre avec un public, c’est là qu’une dernière opération invisible mais pourtant concrète s’opère sur les mots, les gestes, les corps, les silences de la représentation. Pour moi, ce temps là, ne s’achève pas au soir de la Première, au contraire ce dernier temps de l’écriture est peut être le plus long de tous. Si je défends l’idée qu’une pièce n’est pas terminée au stade de l’écriture sur le papier, je pense également qu’il faut beaucoup de ce temps là , de la représentation, pour finir d’écrire cet « entre-les-mots » du texte, constitué de silence mais pas seulement. C’est pour toutes ces raisons que j’ai la volonté depuis quelques années de faire vivre mes spectacles sur des durées les plus longues possibles. D’insister, vraiment, de persister de manière pas tout à fait raisonnable même. Je trouve qu’on fait du théâtre trop vite, on dit souvent : « c’est dans l’urgence que ça sort », moi je pense que le théâtre a besoin de temps, que c’est comme cela qu’il va pouvoir affirmer son identité. Comme le cirque, le théâtre est l’art de la répétition, peut-être aussi celui de l’effort, celui du corps, de la permanence et de la persistance du corps. Je rêve d’un théâtre artisanal, c’est-à-dire de pouvoir dans ma pratique du théâtre créer ce type de relation au travail : quotidien, modeste, exigent, patient, raisonnable et fou… Trouver le temps pour l’in-corpo-ration des idées, un vrai temps de maturation pour les esprits et pour les corps, ce temps où le corps accède à l’intelligence, l’esprit à la sensation. Je crois que le théâtre a besoin de maturité pour oser réclamer qu’il est un art, parce que le théâtre se doit d’être un art, de l’instant, fait d’éternité. Le théâtre pour moi, est recherche de perfection c’est à dire d’absolu en même temps que d’évidences.



Ce que je cherche ce n’est pas l’écrit ni même la mise en scène ce que je cherche c’est plutôt du rapport, un rapport. C’est un lieu où de la parole s’entend, où des êtres parlent, où des gestes ont un poids. Je suis obsédé par la réalité, peut-être parce que je suis obsédé par le vide, l’envers du plein, par la non-connaissance, ce qui échappe, ce qui résiste à la lumière. C’est pour cela je crois, que plus que tout, au théâtre, je veux entendre et je veux voir, je cherche à entendre, je cherche à voir.



Ce serait quelque chose d’intermédiaire entre du théâtre et pas du théâtre. Intermédiaire entre du théâtre et quelque chose qu’on ne pourrait pas qualifier de rien. Non. Mais quelque chose qui appartiendrait plutôt à l’imaginaire, à un ordre mental, ou plus exactement qui chercherait à produire du théâtre (du mouvement, du sens, de l’émotion) dans une très grande économie de signes et de moyens visibles extérieurement, qui chercherait donc à produire du théâtre, la matière la plus consistante de ce théâtre, dans la tête, donc dans le corps du spectateur. On pourrait dire aussi que ce théâtre est invisible, qui ne montre quasiment rien de ce qu’il prétend créer, on pourrait aussi le qualifier de transparent (on peut passer au travers, ne rien ni voir puisqu’il ne s’y montre que très peu), les comédiens seraient alors au sens le plus précis de la formule des passeurs, et leur existence, leur rôle et leur pouvoir seraient d’autant plus essentiels que leur capacité à se tenir sur la frontière entre la présence et l’absence serait grande.

Joël Pommerat

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