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Gilgamesh, l'homme qui ne voulait pas mourir

+ d'infos sur le texte de Pascal Rambert
mise en scène Pascal Rambert

: A propos de la pièce

Un homme singulier - un tiers humain, deux tiers divins - après un déluge a lancé la question de la vie, de la mémoire, de la mort. De l'effacement et du refus d'effacement. Celui-là, GILGAMESH, parle encore entre les pierres en Irak, en Syrie, entre le Tigre et l'Euphrate.



Le souci des origines me guide.


L'Epopée de GILGAMESH, vieille de trois mille ans avant Jésus-Christ est le plus ancien texte littéraire écrit pas les hommes et connu à ce jour.


Elle narre l'histoire de ce roi d'Uruk (aujourd'hui Warka - entre Bassorah et Baghdad) parti à la recherche de la vie sans fin.


D'abord furieux, peu amène envers son peuple, il est très vite poussé par les dieux sur la route afin de se trouver lui-même et cela au travers de multiples épreuves, toutes plus savantes, raffinées et cruelles les unes que les autres. Avec son ami, son plus qu'ami Enkidu, son double, son frère, il poursuivra avec vaillance sa quête jusqu'à la mort de ce dernier. Il tiendra ainsi, par fol amour, le cadavre d'Enkidu contre sa poitrine jusqu'à ce que les vers lui tombent du nez. Fortement éprouvé - le mot est faible - par la mort de cet autre lui-même GILGAMESH, horrifié, révolté comme tout homme devant l'inéluctable du trépas ira trouver Uta-napisti l'Immortel.


GILGAMESH veut connaître le secret d'immortalité d'Uta-napisti et il le lui dira.


Ici se fait entendre alors le récit du déluge, antérieur à celui de la Bible. Et c'est parce qu'il a sauvé, lui, Uta-napisti, les humains du déluge que les Dieux l'ont honoré en lui offrant l'éternité. Mais les conditions de si hauts bouleversements et les actes hauts de courage qui les accompagnent, ici ne sont pas réunis. GILGAMESH ne pourra renouveler l'exploit et partant ne pourra prétendre à l'immortalité.


D'abord abattu par la réponse, GILGAMESH, le grand homme qui aura vu le fond, rentrera chez lui exercer sa partie : être, avec sagesse, roi de la ville dont il avait été autrefois le bâtisseur, furieux.


Quête de soi, érotisme, naissance, besoin de l'autre, amitié, quête du monde, épreuves qui nous feront nous perdre puis nous retrouver, projet où l'on battît sa vie, bataille pour celle-ci, folie d'une vie sans fin, refus de soi effacé, rayé, oublié, besoin de mémoire sans fin, passage, relais, paroles, corps dansants, tout ici renvoie à l'homme, à la vie. A l'envie de vie, sans fin, immense.


Tout renvoie ici, par métaphore, à l'envie d'art, notre seule vie sans fin, immense, à nous, mortels.


Rassemblant ainsi l'origine, c'est là-bas, dans le sol irakien, syrien que nous, occidentaux, sommes, songeant.



L'idée de monter l'Epopée de Gilgamesh avec des acteurs irakiens, américains et français - pour voir le rêve fou advenir, l'interdit se réaliser, pour se tenir à l'impossible parce qu'à lui seul nous sommes tenus.



Passer le temps qu'il faut dans les différents sites archéologiques, afin d'être dans le concret du support du texte, le sol, le ciel, les pierres.


Pour nourrir mon travail, j'ai souhaité diriger des ateliers avec de jeunes comédiens à New-York, Damas, Paris et Marseille ; mon idée étant de pouvoir constituer ainsi ma distribution en choisissant quinze acteurs - cinq par pays - afin de créer la version intégrale du texte et ce en français, en arabe et en anglais.
Depuis 1997, aidé par l'AFAA, j'ai donc effectué plusieurs voyages.
A l'origine, je voulais commencer par travailler en Irak, mais pour faits de guerre, j'ai été conduit à travailler en Syrie (Printemps 1998, je monte une partie du texte de l'Epopée en arabe à l'Institut Syrien d'Art Dramatique) et aux Etats - Unis (Janvier 1998, je monte une partie de l'Epopée avec seize acteurs du Département de Théâtre expérimental de la New-York University). De mai à juillet 1998, je fais de même à Marseille Friche de la Belle de Mai.



Tout cela définit le projet : offrir la place à l'étranger.



Que nous reste-t-il des quelques deux mille ou trois mille vers du texte d'origine ?


Beaucoup et en même temps peu. Suffisamment pour sentir un souffle puissant : celui du récit d'une vie, donc de toutes les vies. Avec leur part de lumière, leur part d'obscurité. Leur cruelle présence et leur absence magnifique.
Tout comme dans le texte de l'Epopée aujourd'hui entre nos mains, manquent, magnifiquement, mots, phrases, noms éclatés par le gel, le temps. Signes, traces disparues dans les brisures des tablettes d'argile et à jamais perdus dans le sol, jaloux.


Mais il n'y a rien à déplorer, car c'est dans ce manque, dans ces creux, dans les trous de cette œuvre désormais ouverte par l'injure du temps que le lecteur d'abord, puis l'acteur au travail et ensuite le spectateur, apportent chacun la leur, la pierre manquante, je veux dire celle de l'imaginaire, celle qui construit et repeuple l'édifice. Ainsi, c'est dans ces trois regards libre d'interprétation que l'Epopée de Gilgamesh à nouveau vit.


Les trois langues à l'intérieur de la version finale se mêleront. La structure littéraire du texte - très archaïque - avec ses répétitions, ses redites permet ce traitement. Une version au trois tiers française, comme elle le sera dans la version définitive que je veux présenter au public, offre la place au chant des autres langues.



Ce qui m'intéresse, c'est de multiplier les points de vue.


C'est de produire non pas un théâtre mais des théâtres : un acteur américain ou français ne donnera jamais de l'Epopée la même lecture ni la même interprétation qu'un acteur syrien. Il s'agit d'activer les imaginaires, il s'agit de les faire parler dans leurs singularités au travers de l'œuvre ouverte qu'est l'Epopée de Gilgamesh.


Monter l'Epopée de Gilgamesh dans sa version intégrale - une nuit entière peut-être - dans toutes les langues des acteurs et sous le ciel de préférence.
Avignon me semble l'endroit indiqué et cela au moment où l'Europe célébrera deux mille ans d'occident chrétien. Il me paraît alors sensible de remonter plus haut encore et d'ouvrir la mémoire sur cinq mille ans d'écriture.


Dans un champs de tournesols sans fin - car il y a le soleil dans l'Epopée de Gilgamesh - il faut imaginer non pas une reconstitution, ni une approche moderniste, mais plutôt, conformément au travail que je poursuis depuis toujours, la rencontre entre archaïque et contemporain. Archaïsme pour Mémoire, Parole enfouie qui éclaire le présent.
Contemporain pour Minimalisme, Parole absolue fuyant les réalismes.


Il faut imaginer un travail sur le verbe, un travail de chœur, laissant place entière au mystère des phrases, au mystère des mots brisés dans l'argile du poème.
Il faut imaginer la joie d'une lecture libre, offrant à tout un chacun, artistes puis spectateurs la possibilité de peupler d'épiphanies d'imaginaire le lieu où rien ne nous prend plus la main.



Pascal Rambert - Octobre 99

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