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George Dandin

+ d'infos sur le texte de  Molière
mise en scène Jean-Pierre Vincent

: Présentation

INTENTIONS


1668: Molière prend part au Grand Divertissement de Versailles, ballets, cascades, feux d’artifices, banquets... Il a repris et augmenté La Jalousie du Barbouillé, farcede sa jeunesse pour fabriquer son George Dandin ou le Mari Confondu ; il a concocté avec Lully une Pastorale qu’ils entremêlent à la comédie. La Pastorale finit bien, la farce finit mal. Les Versaillais s’esclaffent sur le dos du parvenu puni. Mais la pièce est réversible. Tout le monde en prend pour son grade. Et c’est ce qui fait qu’on la joue encore.


1958: George Dandin mis en scène par Roger Planchon à Villeurbanne, a révolutionné beaucoup de choses, pour moi et pour d’autres. C’était un pas de géant dans l’histoire du théâtre (français). Au fil des années, j’ai vu d’autres Dandin, reprenant toujours, plus moins, la tracée profonde de Planchon. Je ne pensais pas travailler la pièce ; dans mon souvenir, Planchon avait tout dit. Je l’ai relue par hasard au moment où Pauline Sales et Vincent Garanger nous ont proposé de travailler avec eux. Alors, j’ai lu autre chose… la pièce bien sûr, toute la pièce, rien que la pièce, mais faisant naître une analyse et une imagerie inédites.


2018: nous répétons George Dandin, pour Le Préau à Vire et pour un peu partout en France…


UN SCÉNARIO POUR COMMENCER.


Imaginons un paysan débrouillard, et mieux que cela, car le géniedes affaires peut se nicher partout et la fortune commencer avec rien. Il a gratté et gratté, dans les céréales, ou le beurre, ou la bidoche – veaux, vaches, cochons, poulets. Il a entourloupé beaucoup de naïfs. Il a gagné beaucoup d’argent. Il a racheté des terres et agrandi ses domaines, gagné toujours plus d’argent. Il a fait le voyage de Paris et poussé jusqu’à Versailles où il a tout visité. Revenu ébloui, il se fait construire un Versailles modèle réduit, en pleine campagne, une petite Cour d’Honneur, histoire d’épater les nobliaux du coin qui l’ont toujours mis de côté. Il s’est aussi payé les vêtements à la mode et se promène en marquis dernier cri: sa perruque est blonde, mais sa moustache est restée noire, il ne se rase qu’une fois par semaine, et sous ses parures, il a gardé son vieux tricot de corps, sa mascotte.
Bien sûr, il a fallu aussi s’acheter une femme et un nom. Les nobliaux les plus proches, famille appauvrie depuis longtemps, portant haut mais sentant la poussière et l’eau bénite, avaient une fille, jolie et bien élevée, comme au couvent. Ils possédaient assez de terres pour négocier un viager confortable contre un mariage humiliant : ainsi se tenaient-ils par la barbichette, pour la vie…
Le gars Dandin est devenu Monsieur De la Dandinière, noblesse illusoire, mais perçue comme un danger à l’époque par les soi-disant propriétaires de la France. Déjà.
Le couple Dandin s’est installé dans la nouvelle maison avant même la fin des travaux : on est encore dans les enduits; il reste un petit tas de fumier dans un coin ; le puits central a été comblé, seulement recouvert d’un petit plancher de bois.
La vie du couple n’est pas joyeuse. La jeune femme ne supporte pas les manières brusques du mari qui l’a achetée. Et ce, d’autant plus qu’il a pris de mauvaises habitudes côté boisson : il est brutal et sent le cabaret. En tout cas, le mariage récent n’a pas encore été consommé… Comme elle le prend de haut – noblesse oblige – il devient violent. La nuit, on entend des cris au loin. C’est pourquoi tous les jours, les beaux-parents, par hasard, passent aux nouvelles.


C’est là que commence notre histoire en forme de théâtre : la descente aux Enfers de celui qui s’était cru parvenu (sic) au Ciel. Ne la racontons pas ici dans le détail : elle est assez simple et droite, en apparence du moins. Trois actes, trois tentatives pour rester le maître à bord, trois échecs, trois humiliations : le réel qu’on voulait fuir revient au galop. Le pire étant que le bonhomme sait pratiquement tout dès le départ, il le dit et le répète : inépuisable lutteur d’un combat perdu d’avance.


«Vous l’avez voulu, vous l’avez voulu, George Dandin, vous l’avez VOULU ».


Il sera «confondu», c’est-à-dire «convaincu d’une erreur (ou d’une faute)». Il y a bien dans chaque acte une forme de procès, que lui-même cherche à intenter, et qui se retourne contre lui, avec châtiment à la clé. L’aristocratie, même morte, est épargnée. «L’impunité n’y est point punie», écrivait Ramon Fernandez. Mais «confondu» signifie aussi «troublé, agité, éperdu». Comme dans d’autres scénarios de Molière, il y a un «devenir fou» du personnage central : c’est la tragicomédie de George Dandin De la Dandinière.Mais qui sait ? Attendons la fin, la vraie fin, tragi-comique…


RAYON NOUVEAUTÉS


Allons jusqu’au bout. On a vu beaucoup de mises en scène généreuses s’apitoyer finalement sur le triste sort du «pauvre Dandin». Oui, les nobles sont infects, oui Angélique a des raisons de se venger, mais elle le fait sans aucune pitié. Mais Dandin n’est pas un ange. La lutte des classes (et des sexes) lui casse les reins, mais il en a cassé bien d’autres. Jusqu’au bout avec la farce donc, jusqu’au bout de la cruauté noire. Dandin, s’il est un parvenu ridicule, doit l’être jusqu’à la fin.


À partir d’une situation bien réelle, Dandin entre pas à pas dans un monde de folie. Mais c’est la comédie entière qui est un méchant rêve. Le texte est simple et direct, mais il appelle, ou déclenche, ou permet, très vite, une foule d’images et de visions. C’est ainsi que se développera notre récit, non dans un réalisme rural, mais dans une fantasmagorie onirique.


Vidons d’abord presque entièrement le décor. Assurons la limpidité graphique des rapports de force. Tout est simple, c’est une farce; tout se complique : c’est une comédie; le réel se transforme, c’est une mise en scène. Notre enjeu est de créer un autre réalisme que celui hérité de Planchon. Pas de ferme en bois, ni d’échafaudages, ni de maison bourgeoise XVIIèmesiècle forcément trop petite. Seulement des restes, des allusions. Le décor minimaliste comme un écran blanc va en produire plusieurs autres: rêve de Versailles, église du voisinage, ciel de nuit orageuse, etc.


À Versailles en 1668, la pièce était mêlée de musique, ce qui explique en partie sa brièveté. Dès sa reprise à Paris, plus de musique, ce qui explique son autonomie – qui s’est affirmée ainsi au long des siècles. Mais à la relecture, cette présence de Lully, et donc du luxe Versaillais, mais aussi cette présence des bergers amoureux, m’ont semblé un fantôme très présent. Nous allons travailler à un retour subreptice de Lully dans notre jeu; et Molière nous a laissé un berger : le silencieux Colin serait-il musicien à ses heures ?


Dans un décor sans âge, les costumes seront absolument d’époque – toujours cet écart voulu et productif chez nous entre Jean-Paul Chambas le peintre et Patrice Cauchetier le costumier. Dandin ne sera pas un paysan demi-riche, vite rappelé à l’ordre, mais un fou de parvenu abattu en plein vol. Plus dure sera la chute. Présenter une telle pièce, c’est aussi organiser pour le public un voyage dans le temps, dans l’imaginaire, dans un charme de l’ailleurs. L’actualité des situations, la violence des humiliations n’y perdra rien, bien au contraire.


Mine de rien, et malgré sa forme presque schématique, cette œuvre de Molière montre un tableau complet, du haut au bas de l’échelle, de la société française et de ses tensions, qu’il a pu observer de près au cours de ses tournées de jeunesse. Comme nous le savons trop bien, beaucoup des choses ont à peine changé dans notre paysage traditionnel… La France reste un vieux pays où nous pataugeons. George Dandin nous saute aux yeux, nous renvoie l’image de nos comptes pas réglés. On va mettre une nouvelle fois le doigt dessus, mais aussi comme si c’était la première fois. Souriez, vous êtes filmés…

Jean-Pierre Vincent

mars 2017

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