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Fragments d'un discours amoureux

+ d'infos sur l'adaptation de Arnaud Churin ,
mise en scène Arnaud Churin

: Note d'intention

En préambule, Roland Barthes avertit le lecteur :
« C’est donc un amoureux qui parle et qui dit (...)   »


Barthes présente son texte sous forme de figure, « l’amoureux reconnaîtra des scènes de langage  ». Comme l’amateur de patinage reconnaîtra la triple boucle piquée, l’amoureux reconnaîtra les figures qui jalonnent le souvenir de son état amoureux.
Dans son introduction, l’auteur parle de figures de « gymnastique  ». Les fragments, toujours selon l’introduction, ne sont ni une analyse, ni une explication de l’amour, mais une affirmation de l’amour. Ce livre de Roland Barthes est construit par Intitulés, qu’il appelle les Figures. Chaque Figure est découpée en versets, Barthes fait référence autant à des grands textes de la littérature qu’à des conversations qu’il a eues avec tel ou tel. C’est tout le cadre noir de Saumur des amoureux qui est dans ce bouquin.


Les Figures sont d’autant plus frappantes qu’effectivement nous les reconnaissons :


comme les adeptes du sport équestre reconnaissent les prouesses des cavaliers virtuoses. Le lecteur se révèle amoureux au fur et à mesure qu’il « reconnaît  » les situations, les étapes de son propre cheminement affectif. « Le discours amoureux est d’une extrême solitude  », c’est sur ce constat que Barthes ouvre son oeuvre, dont il aimerait, nous dit-il, qu’elle soit comme une « coopérative, ouverte à tous les amoureux, à tous les énoncés de tous les amoureux  ».

La représentation de ces « fragments  » dans un dispositif théâtral, incarnation de la parole, rythme de la représentation, vise à affirmer l’état amoureux en créant une communauté qui se reconnaît dans cet état amoureux. Les spectateurs se passionnent pour l’amour, comme d’autres pour les chevaux. Ils ont cru que l’histoire de leurs amours a permis d’affirmer leur singularité, en même temps, ils sont époustouflés par la pertinence des fragments qui les réunissent, comme une monte qui se dévoile encore plus précise en ce qu’elle conjugue les contraintes imposées à tous les cavaliers.


Quittons là la métaphore équestre qui nous entraîne sur un terrain glissant lorsque l’on parle de l’amour. Car si les figures amoureuses sont reconnues, si à l’écoute des énoncés on se vit plus amoureux qu’on ne le pensait, l’on comprend dès lors que ce n’est pas dans l’affirmation de notre discours amoureux que nous rencontrons notre singularité, mais dans l’exercice intime de l’amour, dans son aspect le plus charnel.


Dans l’introduction (décidément !) de Madame Edwarda, Georges Bataille écrit « si tu ris c’est que tu as peur  ». C’est la peur qui encourage la grivoiserie, car le sexe nous fait peur et de temps en temps, nous choisissons d’en rire. Le rire évoqué ici est un rire de gorge, que l’on qualifiera de gras. Le rire que suscite Barthes dans son ouvrage est un rire du nez, un « Umpf  », ce drôle de son qui provient de la contraction de notre diaphragme mais pour lequel nous expirons l’air par le nez. Un hoquet de compassion en quelque sorte. Et c’est sans doute cette part tellement vivante, tellement réjouissante, cette légèreté que nous donne la lecture de Barthes, c’est cette légèreté subtile qui « donne envie  » de dire ce texte, de le partager, de créer la communauté des amoureux et de leur inventer un objet qui les réunissent dans ce « Umpf  » qui sonorise leur reconnaissance mutuelle.


Ce sont des amoureux qui jouent
Les fragments de ce discours ne peuvent être dits que par des amoureux. Deux amoureux qui tenteront de déciller leur regard sur l’amour. Ils ne veulent pas « connaître » l’amour, ils veulent l’affirmer. Chacun prisonnier dans cette solitude, que désormais nous savons commune à tous, ils sont amoureux. Mais de qui ? C’est pour tendre cette dimension de la chair que nous avons voulu, en plus des deux comédiens, joindre une danseuse. Pour qu’au-delà des déterminations, hétéro/homo, il y ait une incarnation donc une crédibilité dans les situations qui sont développées. Le trio, finalement, renforce la solitude et le « quant à soi  » de chacun des interprètes. C’est de cette solitude, tellement reconnue par le public, tellement détaillée par la maladie que l’amour provoque de vouloir être exact dans son ressenti, que le spectateur « Umpfe ». Il peut projeter à loisir ses situations de langage à lui, les fragments de son vécu amoureux car la « distribution  » n’impose pas un lien.
Tantôt l’un tantôt l’autre sont délaissés, et la fille dans certains cas est la poule d’une expérience, ou une émanation du texte lui-même. L’ensemble doit être de nature à « déplier  » la complexité du texte, à se réjouir de son entendement.
L’espace dans lequel évolue les interprètes est nu, afin que toutes les situations soient vraisemblables sans qu’aucune d’entre elles n’aient besoin d’être accessoirisées. La langue de Barthes est tellement juste, tellement équilibrée que tout doit concourir à en faire le centre de la représentation. Pour rencontrer les solitudes qui sont sur scène, il faudra que notre esthétique reste extrêmement légère et que les images qu’elle pourrait déployer proviennent des interprètes. Ils sont autosuffisants, c’est eux qui sont l’objet de leur propre discours, puisque «   c’est un amoureux qui parle et qui dit  ». Aucune machinerie extérieure ne saurait être mise en place, ce sont les interprètes qui doivent tout produire, tout faire advenir.
Lors de la lecture que nous avions rendue public lors du Marathon des mots 2004, nous n’avions pas de musique, simplement nous utilisions des micros.
Au commencement, il y a deux voix qui disent un morceau de l’introduction des Fragments d’un discours amoureux concernant les figures précisément, comme un prologue, un trait d’union avec le livre. Alors que l’on entend le texte de Barthes, la danseuse interprète une chorégraphie supportée par la musique des mots. À la fin du texte, elle porte une pancarte où il est inscrit « C’est un amoureux qui parle et qui dit  ».
Les comédiens entrent et ce sont quelques figures, quelques fois des extraits, qui nourrissent la représentation. L’idée d’une narration n’est pas totalement absente du montage. Ravissement, attente, rencontre, casés, fâcheux, mutisme, lettre d’amour, ces mots mis bout à bout « racontent  » déjà sans qu’il n’est besoin de chercher une autre trame fictive. Il s’agit, pour passer de la lecture à la représentation, de faire un travail rigoureux sur la langue de Barthes. Dans mon esprit, ce spectacle pourrait être le lieu où l’on travaille sur les mots des comédiens, sur la qualité de leurs énoncés. Ce livre n’est pas tout à fait étranger au théâtre, Barthes est un vrai amoureux de théâtre. Alors supposons que par la fréquentation des « fragments… » l’on puisse « nettoyer  » les interprétations afin qu’elles permettent l’expression de cette élégance et cette suspension qui traverse le texte.

Arnaud Churin

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