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Recherches d'un chien

mise en scène Pierre Clarard

: Notes d'intention

Betty Raffaelli /


J'aime beaucoup les chiens. Presque tous les chiens. Je ne regrette qu'une chose: qu'il leur manque la parole.
Aussi comprendrez-vous que la rencontre d'un chien miraculeusement doté de cette faculté me marquât d'une impression ineffaçable. J'y pensais tout le temps.
Cela m'intrigua d'autant que ce chien qui semblait ignorer les humains, ne parlait en fait que d'eux, comme s'il était habité de l'un d'entre eux. Je réalisais plus tard que c'était bien le cas et que cet humain s'appelait Franz Kafka.
Mais là tout n'est pas dit.
Kafka s'était-il déguisé en chien pour mieux se dévoiler ?
Le chien se servait-il de Kafka pour nous entretenir de sa vie de chien ?
La chose restait indémêlable.
D'un côté le chien, savant, chercheur, penseur, autodidacte et questionneur incorrigible, a place entière dans cette affaire. Sa façon de vivre, ses habitudes, ses mœurs, et surtout son indépendance d'esprit canin, de jugement canin s'impose. D'un autre côté, force est de reconnaître que c'est tout de même un humain qui est à la manœuvre.
Finalement l'un nous parle de la «condition humaine» en nous parlant de «la condition canine», et vice-versa.
Porte ouverte à un foisonnement d'idées, de fantasmagories, d'images, d'aventures, telles qu'il n'en existe que dans les rêves. Et nous savons bien qu'au fond des rêves se cache ce que l'on ne dit pas.


Ce texte écrit à la première personne, dans une langue limpide, concrète, simple et vivante, n'est pas un soliloque. Il a une adresse. Il nous parle, à nous lecteur, à nous spectateur. Il nous attire vers des zones peu fréquentées, tantôt sombres, tantôt joyeuses, mais toujours bien ancrées dans le réel, dans la vie même, comme l'affirme Georges-Arthur Goldsmidt, grand connaisseur de l'œuvre de Franz Kafka, «…chez Kafka, tout est élan, enthousiasme à vivre...»




Michel Barlier /


Recherches d'un chien est l'un des derniers textes de Kafka, écrit en 1922. C’est peut-être un testament, mais c'est d'abord un récit fictif qu'il faut prendre à la lettre, aborder dans sa singularité parfois burlesque comme dans son arrière-plan philosophique et religieux, et accompagner dans sa légèreté comme dans son exigence la plus extrême.


Ce sont bien les questions fondamentales de Kafka que se pose inlassablement le chien : le droit et le devoir d'écrire, l'ascèse que cela représente, l'indifférence avec laquelle une œuvre peut être accueillie ; mais ces interrogations sont déplacées, «déterritorialisées» (Deleuze et Guattari) par l'adoption d'une perspective-chien qui leur confère une capacité nouvelle à surprendre et à libérer. Comme le disent ces auteurs, chez Kafka l'animal n'est pas métaphore mais métamorphose.
C'est une machine à produire de l'insolite et du nouveau.


L'humour dans ses multiples nuances, allant du simple décalage qui laisse deviner un pastiche, jusqu'au jeu de mot le plus explicite, est omniprésent. Pourtant le rire n'est jamais gratuit : il épingle les langues et les postures de pouvoir, il dénonce les supercheries de la Loi. Toujours, il alerte «afin que le regard redevienne à nouveau libre».


S'il faut prendre «à la lettre» la fiction canine proposée par Kafka, c'est aussi «à la lettre», qu'il faut traduire le texte. La pensée de Kafka est sans doute complexe, mais son écriture est toujours claire. Son travail sur la langue, cet usage «mineur» du langage dont parlent Deleuze et Guattari, va toujours dans le sens de l'intensité et de la sobriété. C'est ce que vise cette nouvelle traduction efficace et directe, atout essentiel pour une adaptation théâtrale.

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