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Falstafe


: Entretien avec Lazare Herson-Macarel

Propos recueillis par Marion Canelas

Vous présentez une adaptation de Falstafe de Valère Novarina au Festival d’Avignon. Comment l’idée de mettre en scène ce texte est-elle née ?


Lazare Herson-Macarel : À l’origine, Falstafe devait naître en août au Nouveau Théâtre Populaire (NTP), festival que j’ai cofondé en 2009 avec une troupe de vingt jeunes acteurs, dans le village de Fontaine-Guérin, près de Beaufort, entre Angers et Saumur. Nous y avons construit un plateau en plein air où nous créons de grands textes – plus d’une vingtaine de spectacles en cinq ans – avec pour principe un tarif unique de cinq euros, pour accueillir un public nombreux et aussi hétérogène que possible. Grâce au soutien local, nous sommes sur le point de créer là-bas un véritable lieu de résidence et de création. L’aventure du Nouveau Théâtre Populaire est la source du choix de ce texte. Il y a une cohérence extrême entre l’existence de ce lieu et le fait de monter Falstafe : l’oeuvre d’un grand poète vivant, le récit d’un parcours initatique, un spectacle pour le jeune public. Notre avenir, l’héritage que nous recevons, les transformations qu’il s’agit de lui apporter, notre façon de le prendre en charge d’une manière nouvelle ; toutes ces interrogations sont présentes dans le texte de Valère Novarina.


Pourquoi, après n’avoir représenté que de grands textes du passé, choisissez-vous cet auteur vivant ? Aurait-il déjà valeur de répertoire selon vous ?


J’ai proposé Falstafe parce qu’il a la particularité d’être une collaboration entre « un grand mort » et « un grand vivant », puisqu’il s’agit d’une réécriture par Valère Novarina de la pièce Henry IV de Shakespeare. Le choix précis de cette pièce repose sur le lien qu’elle tisse avec le passé. Sans que nous l’érigions en projet, Shakespeare revient presque tous les ans sur notre plateau – peut-être parce qu’il y a une parenté mystérieuse entre lui et le Globe, tous deux sous les étoiles… Comme Vilar en son temps, nous sommes très attachés à l’idée de permettre au public de découvrir les poètes contemporains, car nous ne croyons pas qu’il y ait une différence de nature entre les grandes oeuvres d’hier, celles d’aujourd’hui... et celles de demain.


Les adaptations s’enchâssent : vous ajoutez la vôtre au texte de Novarina qui adaptait déjà celui de Shakespeare. Pour quelles raisons ?


L’année dernière, nous avons ajouté une forme nouvelle au NTP : nous créons une pièce vouée à l’itinérance. Nous avons décidé que la prochaine s’adresserait au jeune public. Ceci explique le dispositif plus léger – cinq acteurs et non pas quinze, un format d’une heure – et le choix de ce texte qui permet aussi de rêver l’époque où les troupes étaient, par définition et par nécessité, itinérantes. De plus, la pièce originale embrasse un pan de l’histoire qui s’étend de la mort de Richard II à l’avènement d’Henry V ; il n’était pas question d’en représenter l’intégralité. Donc comme Novarina – mais comme Verdi aussi, et comme Orson Welles – nous avons resserré l’adaptation autour de Falstafe et du parcours initiatique du prince. Mettre en scène une version si courte est une démarche passionnante parce que, si le texte définitif est réduit, dans le travail nous revenons tout de même aux multiples touches et strates qui ont forgé l’oeuvre que nous présentons. Nous retrouvons petit à petit la continuité entre les personnages historiques, ceux de Shakespeare et ceux de Novarina. Or, comme notre présence au Festival et notre travail en général impliquent une forte pensée de la filiation et de la transmission, ce projet est l’incarnation de questions qui sont au coeur de notre travail. Nous avons besoin d’une charge du passé. Ce n’est pas un hasard si la même année nous représentons Falstafe et Hamlet : c’est bien parce qu’il nous importe de nous reconnaître un héritage pour pouvoir aller au-devant de l’existence.


Pourquoi présenter ce texte à un jeune public ?


Parce que c’est un très mauvais exemple pour les enfants ! Falstafe est résolument insoucieux de l’avenir, déterminé à demeurer inconséquent, et il compte bien entraîner le jeune prince à adopter sa conduite. Précédemment, j’ai adapté et mis en scène des contes de Charles Perrault, qui permettent d’explorer des thèmes importants, mais qui comportent une moralité. J’ai choisi de présenter Falstafe à un jeune public précisément parce qu’il ne délivre aucune leçon. Allégorie de cette « jeunesse aimable » de Rimbaud – dont ma compagnie porte le nom –, de l’enfance et de la joie de vivre, cette pièce est l’occasion de faire un théâtre qui n’aurait besoin d’aucun alibi, ni moral ni pédagogique. Il s’agit de permettre aux enfants de rencontrer le théâtre lui-même et non pas, en l’utilisant comme instrument, de lui faire porter un discours construit sur l’existence. C’est pourquoi notre spectacle est autant pour les enfants qu’inspiré par eux. La pièce Falstafe permet d’aller à l’essentiel qui selon moi est le rapport à l’incarnation. Ce que je vise, c’est l’implication et le sérieux absolus dont les jeux d’enfant sont investis, et qui les abstraient de toute préoccupation extérieure à ce qui se déroule au présent. Cette histoire raconte précisément cela : être entièrement à ce qu’on fait, absorbé par l’immédiat, sans souci de l’avenir, sans évaluation de l’utilité ou de la performance de ses actes. J’emprunte volontiers à Novarina l’idée de la gratuité nécessaire du théâtre. Dans la jeunesse – qui n’est pas déterminée par l’âge, comme en témoigne Falstafe –, on trouve ce que Novarina nomme un « en deçà » de la compréhension intelectuelle, qui serait une pensée plus profonde, une constatation, un émerveillement, une exploration intuitive de ce que c’est qu’être « des animaux qui parlent ». Je crois en effet que, adulte ou enfant, nous sommes tous sensibles à cette expérience.


Vous reconnaissez à l’invention une « fantaisie libératrice » et « un pouvoir jubilatoire ».
Est-ce donc cette « joie sans cause » qui fonde votre spectacle ?


Cette pièce est joyeuse parce qu’on y voit la mort partout ! Falstafe, avec toute sa volonté d’y résister, nous la montre sans cesse. Il s’obstine à dire qu’il est jeune alors qu’il est vieux, obèse et dégarni. Ce qui est émouvant, c’est qu’il vit dans la fiction. Il pense qu’en voyant arriver la mort, on peut se mettre à courir. C’est cette naïveté qui me le rend essentiel. Son entêtement à appartenir à une jeunesse pour lui révolue participe de ce trait enfantin qu’est la parole performative : dire « Je suis jeune » suffit. Falstafe parle du monde actuel dans la mesure où il crée du mouvement pour échapper à l’idée même de la mort. Comme tous les clowns, il est obsédé par son intolérable finitude. La solution qu’il propose, c’est de ne s’interdire aucun plaisir. Son goût de la vie, son absence de scrupules, son appétit et l’abondance de sa parole sont des exemples.


Vous revendiquez la pensée de Louis Jouvet : « Nous sommes ainsi faits. C’est le superficiel qui nous émeut. » En quoi cette apparente course aux plaisirs touche-t-elle en profondeur ?


La pièce est au coeur des enjeux politiques et symboliques qui occupent notre génération : c’est l’histoire d’un homme libre dans un monde plein de misère. La course au plaisir apparaît donc comme une critique très profonde – très consciente, même – de la société contemporaine. Falstafe ne sert à rien. Mais un homme doit-il servir à quelque chose ? Ou bien sont-ce les choses qui doivent servir aux hommes ? La question se pose. Aucune réponse n’est donnée. La pièce ne vaut donc que dans l’équilibre entre deux trajectoires, celle de Falstafe et celle du prince, qui n’en finissent pas de se séparer. Bien entendu, mon adaptation n’est pas innocente puisqu’elle met volontairement l’accent sur la première partie de l’histoire, où règne encore le refus de cet avenir sérieux et l’espoir de l’immortalité. Nous avons affaire à des personnages novariniens en diable : des figures du possible.


Sur le champ de bataille, Falstafe échappe à la mort en la jouant. Vous, sur une scène, que déjouez-vous ?


J’ai le sentiment, tant pour les acteurs que pour le public, que le théâtre est une consolation. Quand du théâtre a eu lieu, rien ne peut plus nous l’enlever. Paradoxalement, la sensation d’avoir vécu nous est offerte par l’art le plus éphémère et le plus gratuit. On oppose parfois le réel au théâtre. Pourtant, non seulement nous ne sommes jamais aussi vivant que sur le plateau, mais nous ne pouvons dire la vérité qu’avec les mots des autres.

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