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Existence

+ d'infos sur le texte de Edward Bond traduit par Michel Vittoz
mise en scène Christian Benedetti

: Note d’intention

par Christian Benedetti, metteur en scène et scénographe

L'autre comme révélateur de soi-même
Je fréquente Edward Bond et son oeuvre depuis longtemps, puisqu'il est auteur associé au Théâtre-Studio d’Alfortville que je dirige depuis 17 ans. Le premier spectacle que j'ai monté dans ce lieu était une pièce de lui : Sauvés. Dès lors, nous avons entamé une collaboration, une amitié, procédé à des échanges de textes et de réflexions. Et c'est ainsi qu'un soir, il m'a apporté Existence... pour mon anniversaire, après être venu voir une représentation de 4.48 Psychose que je venais de mettre en scène. En lisant Existence, j’ai été extrêmement frappé à la fois par sa brièveté et par sa densité ; pour moi, elle représente une sorte d'essence, de concentré de son oeuvre…C'est sans doute l'une de ses plus grandes pièces ; par certain côté, elle est extrêmement « primitive » et revient presque aux origines du théâtre ; elle raconte une situation extrêmement simple qui est aussi pour moi la métaphore d’un acte, d’une proposition de création. Dans la pièce, on assiste à un braquage, dans un appartement, et, d'une certaine façon, pour moi, l'acte de création consiste à entrer par effraction chez les spectateurs et à les « braquer », à les déplacer là où on va les « déposséder » d’eux-mêmes, c'est-à-dire les questionner, pour qu’ils repartent avec une connaissance plus grande d’eux-mêmes. Le héros de la pièce s'appelle x, comme le plus petit dénominateur commun, comme une valeur exponentielle. Il pénètre dans un appartement plongé dans le noir. À cet endroit, deux mondes se confrontent : un jeune homme qui vit dans une société dans laquelle il n’a pas sa place, car il n'est pas « dans la norme », et qui entre dans un espace qui n'est pas le sien, et un homme, Tom, qui, d’une certaine façon, a « renoncé », qui vit dans le noir, assis sur un fauteuil, face à une télé qui n’est pas allumée. On ne sait pas ce qu’il fait là, ni ce qu’il attend, ni même s'il attend quelque chose. Ces deux êtres là vont s’apprendre l’un et l’autre ; x va apprendre à Tom la révolte et Tom va apprendre à x... une chose qu'on ne dévoilera pas ici...


Être dans le temps de la représentation
Très vite, dans Existence, tout tourne autour de la langue. Cela nous amène à la question de l'écriture de Bond, l'élément central de son travail de création. Elle est extrêmement ramassée, brève et elliptique. Souvent, celui qui commence une phrase présuppose que l'autre va en comprendre la fin. Le langage de Bond fonctionne de cette manière : il ne laisse pas d'espace incertain, celui qui parle sait ce qu’il dit et oblige l'autre à rajouter un mot pour entrer en contact avec lui. À la différence, ici, ce que Tom ajoute, c'est du silence, autre forme de confrontation. L'échange n'en est pas moins très musical, très rythmé, sans la moindre trace de psychologie, et rempli d'humour, parce que x est quelqu’un d’extrêmement malin et insolent, avec une sorte d'anarchie dans la pensée, au sens d’une liberté folle. Il est capable de passer d’une chose à l’autre très vite, comme on le fait dans la vie... et comme on s’interdit de le faire au théâtre de peur que le spectateur ne comprenne pas ! Edward Bond ne tente pas d'expliquer les choses, il privilégie l’ellipse ; il fait confiance au spectateur. C'est ce que nous essayons de reproduire dans ce travail de mise en scène : faire en sorte que le spectateur soit dans le même temps, dans le même présent que la représentation, c'est-à-dire à l’endroit même de la pensée de x au moment où il la formule. La question est donc de savoir comment amener le public à penser au présent, c'est-à-dire également de plonger l’acteur dans le présent immédiat de cette parole-là. Il en ressortira, j'espère, un espace d’ « intranquillité ». Le présent de la représentation implique, d'un point de vue scénographique, que l'on découvre les choses au fur et à mesure. Un seul rayon de lumière – fixe car provenant d'un réverbère, passe à travers le rideau d'une fenêtre. Nous avons donc tenté de travailler sur un principe d’éclairage très radical, qui oblige le regard à se focaliser ; il n'y a pas d'échappatoire possible à l'intrigue, aux mots, on ne peut pas s’appuyer sur des éléments de décoration. Tout va vraiment à l’essentiel. En retour, la langue s'en trouve éclairée.


S'adresser à l'autre
La grande question de l’oeuvre de Bond est : comment être humain dans un monde inhumain ? Quels choix peut-on faire ? Quelles responsabilités portons-nous chacun ? Existence est comme un condensé d’humanité, dans la mesure où elle met en scène deux personnages ; souvent, l'on pense que l’humanité disparaîtrait au moment où le dernier homme disparaîtrait, mais je suis d’accord avec Bond quand il dit que ce moment sera arrivé quand l'avant-dernier homme mourra. Car comment celui qui reste va-t-il savoir qu’il est un homme ? Où va-t-il trouver un regard qui le considérera comme un être humain ? À l'instar de la langue des claques chez les Aborigènes, quand on se retrouve être tout seul à parler une langue, on a beau continuer à la parler, au fond, ce n'est plus une langue, puisqu'elle ne s'adresse plus à personne. C’est très intéressant parce que, comme le dit Bond, le théâtre ne s’appuie pas sur un conflit. Souvent on dit il faut qu’il y ait conflit pour qu’il y ait théâtre, ce à quoi il répond : non, parce qu’un conflit peut se résoudre. Pour qu'il y ait théâtre, il faut qu’il y ait un paradoxe. Quand deux hommes sont sur une île déserte – donc condamnés à s’entendre – et qu'il ne s'entendent pas, il y a paradoxe. Et c’est pour cela qu’il peut y avoir théâtre et représentation de l’humanité. Existence est une pièce qui parle de cela. De la fin de l’humanité, peut-être du début d’une autre humanité... Toute l'oeuvre de Bond est axée sur cela. Elle est comme au cinéma celle de Haneke, elle nous apprend à regarder. Pour citer le proverbe chinois : « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ! » Bond met en opposition le théâtre et le drame ; le théâtre en tant que représentation assez « tranquillisante » de la société, et le drame qui, de son côté, met en perspective cette société, et nous-mêmes à l’intérieur de cette société, afin que nous découvrions quelle est notre place, comment nous nous positionnons, quelles responsabilités nous prenons, quels choix nous faisons. Quel parti nous prenons.

Christian Benedetti

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