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Ex Anima

Bartabas ( Conception )


: Entretien avec Bartabas

Chacun de tes spectacles semble trouver sa genèse dans le spectacle précédent. Qu’y avait-il dans On achève bien les anges qui t’a conduit à créer Ex Anima ?


Avec le temps, ma relation avec les chevaux évolue. Elle s’approfondit. Je travaille avec eux, je les regarde vivre, je comprends chaque jour un peu plus, spectacle après spectacle, ce qu’ils m’apportent. C’est comme cela qu’aujourd’hui il m’a semblé qu’il était temps pour moi de leur rendre un hommage à la hauteur de ce qu’ils m’ont donné, de les célébrer comme les acteurs véritables de notre Théâtre équestre.


Voilà presque trente ans qu’au cœur de l’aventure de Zingaro les chevaux vivent et travaillent à nos côtés (certains sont là depuis vingt ans). Ils sont les inspirateurs de nos créations, notre moteur de désir. Nous nous sommes servis d’eux depuis tant d’années, à notre tour de les servir. Je parle aussi bien de Zingaro que de l’humanité en général, les chevaux ont payé un lourd tribut à l’humanité dans les siècles passés.


La phrase de Joseph Delteil « comme un souffle de l’âme, un cheval hennit quelque part, jusqu’à la fin du monde » pourrait être l’argument poétique de ce spectacle...


Oui, et j’ai fait le pari que non seulement une telle « monstration » pourrait constituer un spectacle entier mais que ce spectacle-là saurait emmener les spectateurs au plus près des chevaux, de ce qu’ils sont vraiment quand ils ne sont pas eux-mêmes en représentation, pour qu’ils découvrent d’autres beautés, pour qu’ils leur apprennent à s’ensauvager.


Des chevaux et des hommes. Sur la piste, pas de cavaliers, pas de voltigeurs, pas d’exploits. Des femmes et des hommes, à pied, dans l’ombre, et des chevaux dans la lumière...


Les interprètes de la compagnie seront là, mais différemment, en effet ils ne seront pas des cavaliers, il seront des ombres, vêtus d’habits sombres, à la façon des « acteurs » visibles/invisibles du bunraku, au service des chevaux. Il faudra qu’ils se dépouillent de leur égo, de leur corps individuel au profit d’un corps partagé.
Il ne s’agit plus alors de proposer au public d’apprécier une technique, une virtuosité, mais bien d’accepter humblement de recevoir les leçons que les chevaux nous donnent, de comprendre qu’ils sont « une partie mémorielle de nous-mêmes » comme l’écrit Michel Onfray.


Aujourd’hui - nous sommes à la mi-septembre - peut-on dire que tu prends là un risque majeur avec un tel spectacle ?


Il y a bien sûr un risque énorme à construire un spectacle de la sorte, unique je crois, où le metteur en scène n’a plus aucune prise sur l’impondérable. Jamais je n’ai été dans un tel état d’incertitude. Les chevaux referont chaque soir ce qu’ils ont à faire seulement s’ils le veulent bien. Il n’y a pas de garde-fou, ni de cavalier pour les guider.


En même temps, la beauté du spectacle tiendra à ça, à la façon dont chaque cheval se saisira de sa liberté. Ce ne sera pas pour autant un spectacle « désordonné », les séquences sont construites, fortes de l’apprentissage quotidien, de toute la connaissance que nous avons de nos chevaux, de la confiance que nous leur faisons. Nos chevaux « comprennent » ce qu’ils ont à faire. Mais il faut accepter qu’ils le fassent à leur manière, et cette manière on ne pourra évidemment pas la contrôler de façon précise.


Le titre Ex Anima évoque à la fois l’âme et le souffle ; ceux du cheval, ceux de la musique ?


S’il est un thème dans ce spectacle, c’est en effet le souffle, le souffle puissant et sonore des chevaux, et en même temps le souffle comme principe vital et spirituel qui anime les corps. L a m u s i q u e o r i g i n a l e d u s p e c t a c l e n e p o u v a i t ê t r e a l o r s q u e c e l l e q u i n a î t d ’ i n s t r u m e n t s  « à souffle ». La flûte a des origines immémoriales, comme le cheval elle nous transmet quelque chose de l’histoire profonde des hommes. Dans Ex Anima, on entendra des Hulusi (flûtes de Chine), des Tin-Whistles (flûtes d’Irlande), des Bansuri (flûtes d’Inde du Nord), des Shakuhachi, des Ryuteki, des Nokan (flûtes du Japon).


Avec ce spectacle, tu touches au plus beau de ta relation au cheval...


Après trente années de travail, je suis parvenu à établir avec les chevaux une relation de confiance. C’est ce qui me permet aujourd’hui de prendre ce risque de laisser la parole aux chevaux. Je la leur laisse entièrement. Parce que je sais depuis longtemps qu’en retour ils nous apprennent. Les chevaux sont mes maîtres. Ou, si l’ont veut, ce sont des moines - comme eux, ils vivent en cellule -, qui m’enseignent quotidiennement une certaine sagesse.


Pourras-tu jamais atteindre un degré supplémentaire dans ta relation au cheval ? À propos d’Ex Anima, tu parles d’« ultime création »...


Si le spectacle fonctionne comme je l’espère, que puis-je faire après ? Je vois bien, sans le vouloir vraiment, que c’est là un achèvement.


Je fais un rêve depuis quelques temps, je vole. Je vole comme s’il était normal de voler. Cela vient je crois de ces moments, dans Le Centaure et l’Animal, où, sur mon cheval Soutine, bras écartés, j’avais réellement l’impression de voler. Alors, après ce spectacle, entreprendre un voyage extatique avec lui, façon Pégase ? Est-il bien certain que ce jour-là je pourrai emmener le public avec moi ?


Septembre 2017

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