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Et la nuit chante

+ d'infos sur le texte de Jon Fosse traduit par Terje Sinding
mise en scène Marcel Delval

: Entretien avec Jon Fosse

Qui êtes –vous Jon Fosse ?


JON FOSSE : J’ai grandi dans la campagne norvégienne, dans un village du nom de Strandebarm, près du fjord Hardanger. Un beau coin, mais pas très peuplé. Et pour aller au lycée, il fallait bien que je m’en aille ailleurs. J’avais environ seize ans, le bon âge je crois pour quitter la cellule familiale. Quand on doit, tout jeune, s’occuper de soi- même, on apprend les bases de la vie.


Vous jouiez de la guitare ?


J. F. : Oui, beaucoup. J’ai même fait partie d’un groupe qui s’appelait Rocking Chair ! Je devais avoir treize ans quand, pour la première fois nous avons joué, et c’était pour un bal. Nous étions trop jeunes pour avoir le droit de conduire, alors c’est un homme de notre commune qui nous a emmenés dans sa Volkswagen. En fait, malgré toutes mes tentatives, je n’ai jamais réussi à devenir un bon musicien. Quand j’ai compris, j’ai arrêté. C’est vers cette époque que je suis parti de la maison.


Quand avez-vous commencé à écrire ?


J. F. : Les premières fois, c’était des paroles pour des petites chansons, j’avais dans les douze ans. J’écrivais aussi des petites poésies, des histoires courtes. Bien sûr, c’était vraiment mauvais. Mais bon, c’est une autre histoire. Et puis lorsque j’ai arrêté de jouer, l’écriture a pris la place de la musique.


Qu’en attendiez-vous ?


J. F. : J’aimais tout simplement écrire. Écrire m’emmenait ailleurs. À mon premier petit roman, j’étais encore au lycée, et très influencé par Terjei Vesaas, au point d’en devenir un véritable épigone. Personne ne l’a jamais lu, mais je crois l’avoir encore dans mes papiers.


Vous avez écrit des romans, des poèmes, des essais, et il semble bien que le théâtre soit venu par hasard ?


J. F. : Oui, on peut le dire. À Strandebarm, les occasions étaient rares, c’est sûr. Mais je lisais. Quand je suis parti pour Bergen, je suis allé au théâtre. Et bien entendu à Oslo. Au cours de mes voyages, j’ai assisté à quelques grandes mises en scène. Mais la plupart des spectacles que j’ai vus étaient mauvais. Je n’avais pas trente ans quand j’ai arrêté d’aller au théâtre. Mon premier roman, Roue, noir, que j’ai écrit à vingt ans, a été publié pendant l’hiver 2003. Mais il y en avait eu d’autres au cours des années 80, et aussi des recueils de poèmes. Je ne pensais alors absolument pas à la scène et c’est pourtant là, qu’en définitive, je travaille le plus. En fait, mon idée, c’était d’arriver à vivre de mon écriture, en toute liberté. Et je suis fier de dire que j’y suis parvenu. Mais entant qu’auteur indépendant, sans revenus réguliers, on traverse des périodes où l’argent manque. Au cours d’une de ces périodes, on m’a proposé un travail payé : il s’agissait juste de donner le début d’une pièce, plus un résumé de la suite. J’ai dit oui. Pour l’argent. Alors je me suis assis devant mon bureau, c’était la première fois que je m’attaquais à ce genre de travail, et ça a été la plus grosse surprise de ma vie d’auteur. Je savais, je sentais que cette écriture était faite pour moi. C’était une évidence ! De répliques en silences, aller où je voulais me paraissait tellement plus facile qu’avec la prose ou la poésie ! Donc comme, après tout, résumer une oeuvre ne peut être qu’une plaisanterie ou pire encore, j’ai décidé d’aller jusqu‘au bout de la pièce. C’était Quelqu’un va venir.


À ce moment précis, que représentait pour vous le théâtre ?


J. F. : Comme je l’ai dit, je n’y allais pas ; donc, ça représentait surtout un genre littéraire. J’avais lu les classiques grecs, que j’aimais vraiment. Et aussi Racine, traduit en norvégien, de même Lorca ; Tchekhov. Et puis Beckett. Je suis un grand admirateur de son écriture. En fait, Quelqu’un va venir est un commentaire d’En attendant Godot...
Des années plus tard, j’ai commencé à voir en lui un peintre pour le théâtre plutôt qu’un véritable auteur, comme par exemple Tchekhov. Le théâtre, il ne le laisse pas bouger, être dynamique... Mais ce que j’aime toujours, c’est l’âme de ses phrases .Mon approche est et reste littéraire... Pour diverses raisons, Quelqu’un va venir a été la seconde de mes pièces à être montée. Avant, il y avait eu Et jamais nous ne serons séparés, dans la mise en scène de Kai Johnsens. Pour la première fois, je voyais mon écriture sur scène.


Vous avez vraiment découvert le théâtre à cette occasion ?


J. F. : On peut dire ça. J’ai assisté à l’une des dernières répétitions. Malgré différents problèmes, la production a pu tenir le coup. Et ça tenait le coup ! Avec beaucoup de moments très intenses, beaux et tristes. Ces moments magiques de théâtre... Le théâtre, oui, je pense l’avoir découvert à cette occasion. Et aussi, pour quelqu’un habitué à la solitude de l ’auteur, j’ai découvert à quel point le partage dont il est fabriqué, est formidable.


Quand vous écrivez, vous «voyez » vos personnages ?


J. F. : Pas du tout. Disons que je les entends. J’entends des sons entrer en relation. Ils ne s’incarnent qu’à travers les acteurs. Ce sont les acteurs qui créent les personnages, pas moi. Moi, c’est l’écriture, c’est-à-dire une expérience toujours nouvelle, une connaissance sans cesse renouvelée. Un voyage vers l’inconnu. Quand je me lis, j’ai besoin d’être surpris; sinon ça veut dire que c’est mauvais.


En France, on parle de votre «écriture du silence », de votre principe de répétitions.


J. F. : Oui. Le silence chez moi est comme une toile de fond, et les mots des petites lignes sur le tapis blanc du silence. Et puis, je viens, comme je l’ai dit, de la musique, où variations et répétitions sont cruciales. C’est ce que j’essaie de retrouver dans mon écriture, qui est très formelle. De même que chaque note, chaque mot doit trouver sa place exacte pour composer l’ensemble. Mais ils ne comptent que comme les éléments d’un tout. Seul le tout possède pour ainsi dire une âme.


Chez vous, notamment dans Rêve d’automne, le temps est fluctuant


J. F. : En surface, oui, et puis c’est différent pour chaque pièce. Fondamentalement, chacune saisit comme en un coup d’oeil, l’instant. Cet instant pendant lequel le passé, le présent, et dans une certaine mesure le futur peuvent se rencontrer: voilà l’une des formidables possibilités du théâtre. Et il n’y a là rien d’abstrait, c’est pour de vrai, c’est comme ça, pas autrement, voilà tout.


Vous mettez les personnages en rapport avec la mort, tout au moins en relation avec un ailleurs.


J. F. : Je ne crois pas. Ou plutôt si, mais c’est un fait : tout le monde se trouve tout le temps au bord de la mort. Donc dans une sorte de relation avec l’au-delà. Ça fait partie de la condition humaine. Naturellement, les façons de l’exprimer diffèrent, mais toutes se fondent sur cette universelle condition humaine. Il ne s’agit pas de dire comment nous dirigeons notre vie, mais par quoi et comment elle est dirigée. C’est difficile à comprendre, à expliquer. La sociologie, l’économie, la psychologie peuvent aider à analyser, mais c’est au théâtre, lieu du concret et de l’imaginaire, que les dynamiques de base deviennent plus compréhensibles.


Quand vous parlez de solitude, d’absence, d’incertitudes, est-ce que c’est lié à la Norvège ?


J. F. : Tout ce que j’écris est fondamentalement influencé par mes expériences, même si ce n’est jamais exactement ce que j’ai vécu, et elles sont évidemment liées au paysage dans lequel j’ai grandi. Le petit village près du fjord, la côte, l’océan, une maison là, et l’autre très loin. Les magnifiques couleurs d’automne. Le sombre du ciel, la pluie. La lumière dans les fenêtres! Et puis, mon écriture est gouvernée par ma langue. La nouvelle langue norvégienne. Toute langue, je crois, excelle à exprimer des thèmes singuliers. La mienne, en quelque sorte, me force à écrire comme j’écris.


Votre traducteur en France, Terje Sinding parle de rythmes, de musicalité. Reconnaissez-vous vos textes lorsqu’ils sont joués en d’autres langues que le norvégien ?


J. F. : Oui, en tout cas en français parce que je le comprends un peu. Cela dit, il m’est arrivé d’assister à une lecture en tchèque, à Prague. Je ne comprenais pas un seul mot, mais grâce à la forme musicale, au rythme, j’avais presque l’impression de pouvoir toucher la pièce! de la sentir dans ma main.


Vous n’intervenez pas dans la mise en scène ?


J. F. : Jamais. Je veux écrire sans l’intervention de quiconque, je traite les autres comme j’entends être moi-même traité. Mais si on me pose des questions, j’essaie d’y répondre. Il n’y a pas de secrets... Et puis, par chance, mes pièces se montent beaucoup, un peu partout, avec des gens très différents. Si je devais m’en mêler, je ne saurais plus qui je suis... J’abandonne mon écriture aux metteurs en scène. C’est, à mon avis, la seule manière rationnelle de procéder.


C’est affaire de confiance, d’indifférence, ou par goût du risque ?


J. F. : Peut-être un mélange du tout. Sans confiance vis-àvis de quelqu’un, tout au moins de quelque chose, rien n’est possible. Ni théâtre ni littérature. Ni aucun art. Et puis, évidemment, j’ai le goût du risque. Comme ceux qui montent mes pièces et les jouent. C’est le théâtre qui l’exige. La seule chose dont je sois totalement responsable, c’est la pièce publiée en norvégien. Quand on en arrive au stade de la production, ici et là, la responsabilité se partage entre bien des gens. Pourtant quand ça marche, je suis un bon auteur, quand ça rate, un auteur mauvais. En résumé : entre tout ça doit s’établir un équilibre.


Propos recueillis par Colette Godard

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