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Faits divers en série


: Extraits

BABYFOOT de Jean-Christophe Cavallin


Gilles. Ouvre les yeux, mon bébé. Ouvre les yeux. Personne tombe.
(à Jourdan) Arrêtez le babycall !


Jourdan. On a bloqué le bouton !


Jessica. (en même temps) La Vierge était pas sur U-Tube.


Gilles. (à Jourdan) Jetez-le par terre ! Faites quelque chose !


Les pleurs s’arrêtent d’un coup. Grand silence.


Jessica. (bas) Il pleure plus.


Gilles. (en même temps) C’est fini. Ouvre les yeux.


Jessica. Je l’ai pas tenu comme il faut. Il a glissé entre mes jambes. D’abord j’ai cru que je pourrais. Je l’avais cousu sous ma peau comme un bijou dans un ourlet pour que personne me le vole. Je marchais avec importance ; c’était bien ; je me sentais forte. J’avais un ange dedans. Tu sais ce qu’ont dit les journaux ? Des habitants de la tour auraient vu la sainte Vierge soutenir la tête de l’enfant quand il volait de l’un à l’autre. Ses mains blanches soutenaient sa tête comme un reposoir de coton. Quelqu’un filmait la scène avec son téléphone. Sur le film que les gendarmes ont découvert sur U-Tube, on voit pas la sainte Vierge ; mais la vidéo est floue. On distingue le bonnet d’un des trois adolescents. Un bonnet rouge, pas de son. Au fond, ça aurait pu tenir. Je bougeais pas trop, je comptais les jours. C’est dommage que la Vierge était pas sur la vidéo… (silence) Et puis un matin c’est fini. Je suis au supermarché, un carton d’oeufs dans la main droite, à côté de mon chariot. Je lis : « élevés sous la poule ». Ma main se met à trembler ; les oeufs grelottent dans le carton.




ET L'ENFANT SUR LE LOUP de Pierre Notte


Le père. Sors de là


La mère. Elle ne sortira pas


Le père. Sors de là je te dis maintenant sors de là


La mère. Elle ne sortira pas – pourquoi veux-tu qu’elle sorte


Le loup. Ils sont assis, le père et la mère, corps comme confondus à leurs sièges. Autour, les vitres sales, les murs par endroits comme griffés, des lumières écrasantes, un plafonnier de chez Conforama et tout l’espoir des hommes qui se croient encore bons aplati écrasé comme une mouche dans le coin de la vitre sale. Un chien, petite taille petite race avec un petit bout de petit sexe sorti de petit chien énervé. De l’autre côté de la porte fermée de la chambre, la gamine et le petit. Il y a une odeur de café bouillu foutu, une odeur de beurre, le bruit vivant des voisins bruyants mais lointains, une cour au-dehors, des enfants inoffensifs qui s’y insultent et le ciel par-dessus. Je me tiens en ce qui me concerne loin de tout cela dans une forêt profonde, je me tiens en ce qui me concerne caché, tapi au calme d’une retraite naturelle où moi, le loup, je ne surprends personne et surtout pas ma proie toute désignée quand je m’astreins aux lois de la stricte nécessité carnivore, c’est rien de le dire que je vis au grand air mais la question n’est pas là, je me tiens en ce qui me concerne loin du bruit et des tourments de ceux-là, le père et la mère avalés par leur chaise et tout autour de leur gros cul comme fondus à leur siège entre les vitres sales et les murs par endroits comme griffés dans des lumières écrasantes, je me tiens, moi le loup, en ce qui me concerne loin de ceux-là que je me ferai un plaisir de mordre à la cheville quand ils iront prétendre encore que l’homme est un loup pour l’homme – en ce qui me concerne ce propos désormais je le tiens pour dégradant.


Le père. Sors de là


La mère. Elle ne sortira pas


Le père. Sors de là je te dis maintenant sors de là


La mère. Elle ne sortira pas – pourquoi veux-tu qu’elle sorte


Le père. Je veux qu’elle sorte de là parce que je dis sors de là


La mère. Les yeux me font mal


Le père. Quand je dis sors on sort


La mère. C’est la conjonctivite


Le père. Arrête de te frotter comme ça tu te frottes


La mère. Ça me soulage j’ai mal aux yeux


Le père. Ça te soulage mais ça empire


La mère. Ça empire mais ça me soulage


Le père. C’est tout toi ça - en passer par le pire pour aller mieux


La mère. Une taupe dans un caveau je ne vois rien alors je creuse


Le père. Arrête de te frotter comme ça - pourquoi est-ce que personne ne m’écoute jamais

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