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Esto es así y a mí no me jodáis (C'est comme ça et me faites pas chier)

+ d'infos sur le texte de Rodrigo García
mise en scène Rodrigo García

: Entretien avec Rodrigo García

Ton texte C’est comme ça et me faites pas chier répondait-il à une commande ?


Rodrigo García : C’est un ami qui m’a commandé un petit texte. Au départ, je ne voulais pas, mais il m’a demandé de l’écrire pour un comédien aveugle. Alors j’ai eu envie de le faire parce que c’était un défi pour moi.


Est-ce que ce texte pour rait être joué par un comédien voyant ?


Rodrigo García : Oui, car le plus important pour moi, c’est que le texte soit lu en braille. Mais je ne veux pas qu’un comédien joue à être aveugle. C’est le pire qui pourrait arriver dans ma vie. Et ça n’est pas seulement le cas pour ce texte. Je déteste les représentations fictionnelles. Si par exemple un acteur doit se saouler sur scène, je mets du whisky. Si c’est du whisky, ce n’est pas du thé, c’est du whisky.


Et que penses-tu des critiques qui t’associent pour cela à la performance ?


Rodrigo García : Je ne lis rien de ce qu’on écrit sur moi, donc je ne sais pas. Mais j’ai mon opinion là-dessus. Effectivement, je travaille avec des éléments de performance mais je les structure de manière théâtrale. Le temps, la musique, tout ça implique que ce que je fais est une pièce de théâtre, pas une performance. Ce que j’essaye de faire, c’est réinventer le théâtre.


Est-ce que cette réinvention passe par le rapport au spectateur ?


Rodrigo García : Avec le temps, je suis devenu un spécialiste pour créer de la confusion chez le public. Il arrive toujours un moment où le public ne sait plus si ce qui se passe sur scène est réel ou fictionnel. Pour cela, je n’utilise pas la littérature mais des comédiens qui sont de grands menteurs. Les gens ont l’impression que mes acteurs sont en train de souffrir mais ce n’est jamais le cas. En fait, ils s’amusent. Ce n’est pas de la provocation, c’est ma façon de m’exprimer, je n’en ai pas d’autres. Il n’y a pas une préméditation derrière tout ça. J’essaye juste de faire en sorte qu’on se sente vivant. Quand tu écoutes la lecture de textes affreux, tu te sens mort. Tu as l’impression de participer à un théâtre mort et en général le théâtre c’est ça : des congrès de morts qui vont dans les théâtres pour regarder des morts. Je fais partie de ces morts, alors je fais ce que je peux pour être en vie. Le problème est lié au public que j’ai en face de moi. Ce sont des professionnels, des amateurs d’art ou des bourgeois. C’est de la merde. Mais j’ai le même problème quand je tourne en Afrique ou en Amérique latine.


As-tu essayé d’aller vers un public qui ne se rend pas à ce théâtre de morts ?


Rodrigo García : C’est un problème car l’édifice de théâtre me plaît. C’est là que j’aime m’exprimer. Et je ne sais pas travailler dans la rue ; c’est une de mes limites. Ce ne sont pas des chauffeurs de taxi ni des maçons qui viennent voir mes spectacles. Tu dois te demander pourquoi je continue à faire du théâtre… J’ai travaillé dans la publicité où je pouvais gagner beaucoup d’argent, donc ce n’est pas pour l’argent. Je le fais car ce qui me ferait le plus de mal c’est de me taire. Alors je préfère ça. Et j’ajoute à ça qu’il m’est arrivé d’être touché au théâtre. Je fais du théâtre car j’ai été touché quand j’ai vu Kantor ou Pina Bausch. Donc je garde un certain espoir dans l’art.


As-tu envie, en dehors de la création, de travailler à mettre en oeuvre un dispositif pour faire venir ce public ?


Rodrigo García : Le média à utiliser dans ce cas est la télévision mais on ne peut pas y avoir accès. Roberto Rosselini a essayé de s’exprimer par le biais de la télévision. Mais financièrement, c’est impossible car Danone ne va jamais payer une publicité pour un travail bizarre. Ce que je dis, c’est une sorte d’utopie : comment la télévision pourrait devenir un biais éducatif ? Et je parle de télévision car pour moi internet est déjà un échec. Ça va trop vite, personne ne fait de pause. On l’utilise pour récolter le plus d’informations en un minimum de temps. Et ça n’ancre rien chez personne.


Est-ce que tu peux décrire l’importance du temps dans ton théâtre ?


Rodrigo García : Oui, c’est compliqué parce que s’il y a des codes, des temps théâtraux que les gens connaissent, que la vie aussi a ses propres temps qui vont de plus en plus vite : deux heures de TGV pour aller à Paris, tu n’as pas le temps de t’arrêter pour regarder une fleur ou une vache. Le temps s’est comprimé, alors c’est beau de le récupérer au théâtre, de passer du temps ensemble et développer nos sensibilités perdues. C’est pour ça que j’aime les temps morts au théâtre. En ce moment, je travaille avec Melchior Derouet qui est un comédien aveugle. Ce qui est beau c’est de travailler avec sa propre difficulté de lecture à lui. Et selon qui tu es en tant que récepteur, tu peux avoir envie de partir car ça te met hors de toi ou tu peux être attiré comme par un aimant. Mais ça dépend de chaque individu qui va voir la pièce. Mais, attention, ce que je suis en train de faire à la Mousson, c’est une lecture, pas une mise en scène. La seule chose intéressante est de voir un gars en train de lire en brail. Et pour moi, ce qui est extrêmement impressionnant, c’est cette démonstration d’humanité de ce gars en train de lire un texte. Des gens croient que les aveugles sont bêtes sauf que c’est un gars très intelligent qui fait des choses beaucoup mieux que moi. J’espère parvenir à créer une situation de fiction authentique. J’ai pas envie que les gens se disent : oh le pauvre aveugle ou encore c’est incroyable ce qu’il fait. On va essayer de construire un univers de fiction comme n’importe quel autre…


Propos recueillis par Charlotte Lagrange
Traduction par Christilla Vasserot

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