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: Note d'intention

Le spectacle repose d'abord sur les pages du Premier Homme, l'oeuvre inachevée et posthume d'Albert Camus, retrouvée dans la serviette de l'écrivain après l'accident qui lui coûta la vie. Ce livre est un chant d'amour. Amour de l'auteur pour "les siens", sa mère illettrée, sourde et presque muette, veuve d'un père mort à la guerre à vingt-trois ans, son oncle ouvrier tonnelier, son frère, sa grand-mère autoritaire, ses amis, pauvres comme lui, et du même quartier populaire de Belcourt à Alger. Amour pour un maître d'école, Monsieur Germain, qui, un jour, se rendit chez lui et persuada la grand-mère et la mère d'autoriser l'enfant à présenter le concours des bourses afin qu'il puisse poursuivre ses études. Amour profond pour la terre d'Algérie et pour tous les hommes qui y habitent. Plus que d'autres récits de Camus, Le Premier Homme nous plonge, souvent avec humour, dans la vie au jour le jour du petit peuple algérois, une vie difficile et précaire, éclairée toutefois par des joies simples et profondes : les baignades dans la mer, les jeux d'enfants dans les rues, les sorties en famille, et bien d'autres événements qui pourraient paraître anecdotiques, ou traduire la nostalgie d'un folklore local, mais qui, portés par le grand art de l'auteur, prennent une dimension universelle. À partir de petits faits vrais, Camus évoque, au plus près de ses souvenirs, une foule de sensations, d'émotions, de sons, d'odeurs, qui donnent à voir et à entendre ces gens que l'on appelle Français d'Algérie : ce que célèbre Camus avec poésie, c'est la vérité de "ces gens", pour la plupart de condition très modeste comme "les siens", enracinés profondément dans la terre algérienne à travers une culture qui n'est pas seulement française, mais aussi espagnole, italienne et judéo-arabe.
En contrepoint, les récits de Feraoun, Le Fils du pauvre et Jours de Kabylie, font écho par de nombreux traits à celui d'Albert Camus. Né à Tizi Hibel, un petit village du fin fond de la Kabylie, dans une famille d'une pauvreté extrême (on lira la description terrifiante que ce dernier fit de la situation en Kabylie en 1939), Feraoun doit lui aussi son salut à l'Instruction publique. Il a la chance, extraordinaire pour un enfant kabyle, de fréquenter régulièrement l'école primaire, puis d'être reçu au concours des bourses, échappant ainsi à une destinée de berger dans le Djebel. Le jeune Mouloud fréquentera le lycée, réussira au concours d'entrée à l'École normale, et exercera son métier d'instituteur dans son pays natal, faisant ainsi vivre sa nombreuse famille. Ses récits autobiographiques nous plongent au sein de ce monde rural, de ce pays dit "de l'intérieur", dont la très grande misère est cependant réchauffée et éclairée par l'intensité des relations sociales et familiales, les valeurs d'entraide et de solidarité qui font la richesse de la société kabyle.
Notre spectacle mettra en parallèle les enfances des deux hommes, le pied-noir et le Kabyle, différents par leur origine et leur culture, et pourtant réunis par une morale toute naturelle, faite de dignité, de loyauté, de courage, de fidélité à leurs origines et de dévouement envers leurs proches, une morale qui rejette obstinément toutes les formes de violence et d'injustice. Il nous a semblé ainsi plus pertinent de faire revivre une certaine mémoire de l'Algérie à travers la puissance de ces deux grandes voix que de tenter un pari impossible en "mettant en scène" l'histoire forcément controversée de la période tragique qui a précédé l'indépendance. À l'ombre du drame algérien qui les déchire dans leur maturité, ces deux "justes" qui ont aimé passionnément leur terre natale, ont affirmé leur amitié et leur profonde estime réciproque dans les moments les plus terribles : c'est sur cette sincérité que nous nous appuierons pour redonner vie, sur scène, à l'Algérie qu'ils ont aimée et perdue. Leurs textes, joués par deux comédiens, seront accompagnés par les dessins de Charles Brouty, dont le trait a fixé avec sensibilité et poésie, les moments de la vie quotidienne à Alger et Oran, dans les villages et les montagnes de Kabylie de 1936 à 1960.

Jacques Bellay

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