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: Les textes

Une adaptation s’est écrite au fur et à mesure du travail engagé sur le plateau et des discussions que j'ai pu avoir avec Pierre Guyotat qui suit avec intérêt ce projet depuis le début.


Il y a eu plusieurs versions, des suites de corrections et un lent travail d’agencement et de relectures pour arriver à trouver une forme à ce cheminement où la langue archaïque de Progénitures est mise en rapport avec d'autres textes de Guyotat tirés de l'oeuvre récente, qui sont là en contrepoint.


L’adaptation comprend des extraits de : Progénitures, Gallimard, 2000 ; Explications, Léo Scheer, 2000 ; Coma, Mercure de France, 2006 ; Formation, Gallimard, 2008 ; ainsi qu’un extrait de l’Histoire Naturelle de Buffon, et de l’Esprit des Lois de Montesquieu (oeuvres étudiées par Guyotat dans ses « Leçons sur la langue française » à l’université Paris VIII, publiées dans la Revue Littéraire).




Comme l’a si bien fait remarquer Marianne Alphant dans un très beau texte(1), l’oeuvre de Guyotat est traversée (et plus encore dans Progénitures) par la reprise incessante de la question de l’origine et par l’insistance de la figure de l’enfant. C’est que l’origine n’est pas située seulement dans un passé chronologique (qui se trouverait exemplairement résumé dans Formation), elle est contemporaine du devenir historique et ne cesse pas d’agir à travers lui.


C’est avec cette pensée que l’enfant vit toujours dans l’adulte (tant dans sa vie psychique que dans les cellules de son corps), et que la remontée du temps et des générations vers l’origine par le rêve des figures de Progénitures (où les fils souvent se rêvent avant la naissance de leur père) va de pair avec l’évolution de la langue que s’est élaboré ce parcours.


Mais c’est aussi parce que je me suis trouvé, comme je pense tout lecteur de l’oeuvre de Guyotat se trouve, obligé somme toute de réapprendre à lire, que je me suis demandé (en pensant à l’auditeurspectateur) comment quelque chose de l’enfant pourrait éclairer cette oeuvre.


Eclairer et pas expliquer : apporter une lumière, provoquer une éclaircie.


Il s’agit donc d’enfance, d’enfants. Parce que Guyotat y revient toujours, parce que ce qu’il me paraît répéter incessamment c’est cette stupeur douloureuse et nue de l’enfant devant l’énormité et la fureur du monde. L’enfant malléable est à la croisée des mondes, ni homme, ni femme, ni roi, ni peuple, proche du monde animal, messager, ange ou guide, proche du putain qui est au-delà ou en-deçà de la différenciation sexuelle. Son bégaiement rejoint le chant animal. Il est le coeur sauvage toujours à l’oeuvre.


Il y a l’enfant préhistorique, d’avant l’encombrement de l’Histoire, d’avant le langage ; l’enfant qui apprend à lire (et il faut du coeur, de la confiance pour ouvrir le livre et lire) ; l’enfant qui bégaie, contraint d’écrire pour pouvoir parler (et avec l’écriture et la lecture, c’est très vite le récit et le chant) ; l’enfant qui rêve d’être esclave, qui écrit, fictionne (Histoire antique, biblique, rejouée dans la cour de récréation, griffonnée dans les marges des livres …) ; l’enfant témoin ou victime possible de l’histoire, figure de Louis XVII évoquée dans Coma ; l’enfant comme lumière, guide, enfant-saint dans les nativités ; mais aussi l’adulte souffrant et lucide de Coma. Adulte proche de la mort et de l’enfant et qui, contraint à nouveau de remettre les mots en bouche pour renaître, se retourne et regarde sa vie, son oeuvre, les chemins de son enfance et interroge.


A ceci près que le putain n’est pas l’enfant, puisqu’il s’agit d’une autre espèce. Une espèce privée d’existence légale et d’être : figures de fiction, « pensées incarnées et parlantes ».


L’alternance de blocs de verbe de Progénitures et de moments de plateau avec ou sans texte, mais librement inspirés de l’oeuvre de Guyotat (du moins de cette partie de l’oeuvre qu’il dit écrite en « langue normative ») et de son parcours dans l’Histoire, est la seule qui m’a paru permettre à la fois de ne pas violer la sauvagerie de cette écriture et de rendre compte de mon propre cheminement.


Il y a donc trois sources de textes à cette adaptation. Comme trois époques d’une oeuvre et d’une vie, trois couches de présent qui tournent autour d’une même question. La langue archaïque de Progénitures, l’enfance de Formation, et l’adulte de Coma. A ces textes j’ai ajouté un extrait de L'esprit des lois de Montesquieu et un des Histoires Naturelles de Buffon, tous deux cités par Guyotat dans ses Leçons sur la littérature française.


Tout pourrait donc aussi se passer dans la tête d’un homme qui se retrouve tel Job avant la guérison, visité par ses souvenirs et les figures de propre création.


Dans ses « confessions » St-Augustin raconte comment, au fond du désespoir, le coeur brisé, il s’étend sous un figuier pour pleurer. Il entend alors la voix d’un enfant chantonnant (« un chant répétitif et récurent ») quelque chose comme : « Prends et lis. Prends et lis ». Il ouvre le livre devant lui, lit comme si ce qu’il lisait lui était adressé, « à l’instant même où je finissais cette phrase, ce fut comme si une lumière réconfortante se déversait dans mon coeur. Et toutes les ombres du doute s’évanouirent »




  • (1) L’enfant qui bégayait, communication du colloque sur Pierre Guyotat qui s’est tenu à la Bibliothèque Nationale en mai 2007.

Sébastien Derrey

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