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En Apnée

+ d'infos sur le texte de Sarah Fourage
mise en scène Agathe Arnal

: Note d'intention de Sarah Fourage

« Il me paraît important de préciser tout d’abord qu’Agathe Arnal m’a proposé, avec les moyens de sa compagnie, un véritable compagnonnage artistique. Associée à sa compagnie depuis 2015, j’ai eu le sentiment que ma qualité d’autrice » était vraiment précieuse et valorisée, qu’il lui était fait une large place au sein d’un travail théâtral exigeant et cohérent. Ce partenariat et cette complicité m’ont permis d’écrire mon premier « vrai » texte pour « la rue », création de Mes Chers Voisins en mai 2016 – déambulatoire au cœur de Clermont l’Hérault, pour une jauge de 200 personnes.


Ce « baptême » m’a permis de mesurer les enjeux d’une écriture spécifique pour l’espace public. Si Agathe est photographe et « visuelle », je suis pour ma part attachée au(x) son(s) et c’est avant tout un travail sur le rythme, la musicalité de la langue, la fulgurance, la brièveté des phrases, qui me passionne, dans cette écriture à double destination : écriture pour « l’espace public », certes, mais aussi pour un public parfois invisible au théâtre (hors représentations « scolaires ») : les adolescents.


Délit de façade m’a donc passé commande d’un texte où « l’amour » et son urgence auraient une large part- si l’on doit parler de thématique. Nous avons choisi d’évoquer l’absolu de l’amour alors même que les protago-nistes souffrent d’une maladie terriblement banale et terriblement injuste : le cancer. Parce que la seule chose qui peut contraindre l’amour, à cet âge où « la fureur de vivre » est à son comble, c’est la mort, sa perspective, son évocation, sa fatalité.


Ecrire pour les adolescents, c’est pour moi revisiter des émotions éprouvées, et chercher à créer des situations ex-trêmes qui ouvrent un espace imaginaire, à travers une forte identification possible aux personnages, à ce qu’ils traversent. En choisissant le drame, je veux aussi mettre en relief la valeur de l’amour et de l’amitié, tout laissant la part belle à l’humour. La confrontation et cohabitation de l’humour, même noir, et d’ un synopsis dramatique m’in-téressent énormément : malgré la complexité et l’injustice de l’existence, il reste une porte de sortie, une façon digne de réagir, un espace temps pour la célébration pure et simple de la vie- dans ce qu’elle a de beau et fatal.


Les acteurs, âgés de 30 à 35 ans, incarnent ces adolescents et là encore un décalage bienvenu se crée qui met à distance l’intensité du drame : ils n’ont pas « l’âge » du rôle, et pourtant en ont la virtuosité, l’énergie et la fraîcheur : là se situe la force du théâtre et de la fiction.


Mais c’est surtout à travers l’espace - une déambulation en City Park, lieu éminemment dédié aux adolescents - que se met en place le mouvement dramaturgique même de la pièce. Succession de courtes scène en déambulation, elle se déploie, selon les stations choisies, de différents points de vue et la marche même d’un lieu à un autre permet de respirer, de créer un sas et de mettre aussi en mouvement la pensée ou la réflexion.


Cette déambulation est un parti pris radical qui laisse aussi à entendre que les personnages adultes ont vieilli, que ceux qui restent témoignent de la perte d’un proche, des années après. La marche est aussi le mouvement de la quête : Quête de Max pour obtenir l’amour d’Anna, quête de Franck pour obtenir l’amour d’Anna, quête d’Anna pour obtenir l’amour de Franck.


Des espaces d’improvisation retranscrites ont été aménagés pour convoquer le présent et créer une distance salutaire avec le drame : les comédiens eux-mêmes sont invités à prendre du recul sur ce qu’ils jouent, en complicité avec le public.


L’histoire qui se joue est donc lisible au premier degré et en temps réel : mais elle est aussi, via la déambulation, renvoyée à la dimension de conte, de métaphore, voire de souvenir d’une adolescence meurtrie par le deuil.


En termes de jeu et de matière à jouer, c’est bien dans les corps des acteurs, (travail chorégraphique) que s’incarne et s’interprète une langue à priori quotidienne, qui emprunte au langage des jeunes gens d’aujourd’hui, simple et ac-cessible, mais travaillée pour des échanges rythmiques qui tentent de remettre le dialogue au centre de la théâtralité.


Dialogue rêvé, dialogue urgent , dialogue « militant » dans une société où l’on prend si peu le temps d’échanger vraiment, où l’on entend peu les adolescents et citoyens s’exprimer, se dévoiler.


Dialogue comme un remède aux monologues médiatiques ou aux faux échanges et faux débats, où la parole est monopolisée par les experts, pour que soit donnée à voir la quête de l’altérité qui est la grande question du théâtre.


Dialogue pour moi comme une façon indispensable d’écrire, en tendant l’oreille aux différents points de vue, paradoxaux, qui m’agitent et me rendent vivante.


Ecrire pour l’espace public, si cela est relativement nouveau pour moi, est aussi un défi que je relève avec joie car les enjeux politiques de cette action me paraissent fondamentaux : démocratisation culturelle, pose d’un regard inédit sur un endroit que nous croyons connaître et que nous allons - peut-être - redécouvrir. C’est inviter le public à (re)partager un territoire collectif, en une expérience ludique qui met en mouvement l’imaginaire sur la rue.


Pour écrire, regarder. Ré apprendre à voir : une pierre, un caillou, un tag, un mur, un lampadaire public qui s’allume à point nommé , la silhouette d’un jeune qui fait du vélo et des cascades ,sans casque, ré-apprendre à écouter, ce qu’on entend : dans la rue la rumeur incessante, le bruit des voitures de passage, guetter le hurlement du chien ;


Ecrire pour l’espace public, c’est savoir que son texte sera mâché par des acteurs qui ont le courage de jouer sans fard, voir sur une façade la possible scène d’un duo amoureux, s’ancrer dans un territoire et le mettre en valeur, le défendre coûte que coûte, et le donner à voir. L’habiller de mots, pour un instant éphémère mais peut-être, émouvant, où cet endroit (re)reprendra vie sous un angle singulier. »

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