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Empire (Art & Politics)

+ d'infos sur le texte de  Superamas
mise en scène Superamas

: L’Art est un empire

Un long article est consacré dans un récent numéro du magazine Art press aux nouveaux musées japonais. Parmi les quelques exemples, l'un a particulièrement attiré notre attention. Il s'agit d'un projet privé, réalisé à l'initiative de M. Fukutake.


Concernant ses intentions, celui-ci déclare :
"Nous avons besoin, au 21eme siècle, de quelque chose qui transcende la religion. j'ai pensé que les Monet (l’oeuvre centrale du musée est un "Nymphéa" géant) pourraient servir d'icône du 21ème siècle, en lieu et place des pensées religieuses. J'ai pensé construire un musée centré sur Monet et, plutôt que d'avoir une icône religieuse, comme une croix, au coeur du bâtiment, j'ai décidé d'utiliser les Monet comme ce qui transcenderait la philosophie et la religion.! Lorsque vous parlez de philosophie ou de religion, telle personne rejette telle idée ou telle croyance, et j'ai pensé que personne ne rejetterai Monet. J'ai pensé que les Monet pourraient être considérés comme un symbole spirituel transcendant les religions."


Dans ce projet, ce qui inquiète c'est la vision totalitaire et englobante de la nature du Grand Art. L'art s'y retrouve érigé en solution contre les discordes, grand accordeur d’ un monde sans conflits.
La transcendance de la beauté se substitue à la foi et à la pensée.


Monet y a remplacé Dieu, et dans ce temple laïc qu'est le musée, l’oeuvre est toujours icône. C'est aussi cette inquiétude qui transpire au travers de ce que Nicolas Bourriaud a nommé "l'esthétique relationnelle". Mais, Bourriaud ne remet pas fondamentalement en question le statut de l'artiste, il s'emploie juste à questionner l'équation artiste / oeuvre / spectateur.
C'est ce que fait Flaubert quand il dit "Madame Bovary c'est moi". Il s'implique dans le dialogue que son roman noue avec chaque lecteur. L'expérience de la lecture devenant celle d'un compagnonnage, d'une discussion intime, au-delà de toute pudeur, de toute convenance sociale.
La littérature comme posture humaniste et intime.
Est-ce celà qu'a compris M Fukutake des Nymphéas?
Est-ce bien l'humanité de Monet qui transcenderait religions et philosophies ?


Mais qu'importe Monet ou Flaubert...! L'expérience devant un Nymphéa, ou à la lecture de Madame Bovary ne tient que parce que chaque spectateur/lecteur se dit Monet c'est moi, ou Flaubert c'est moi. Parce qu'il fait disparaître l'artiste en s'appropriant l’oeuvre. Et si relation et dialogue il y a, c'est entre la forme et le spectateur. C’est de l’art démocratique. L'artiste n'y a plus rien à faire ! (Rappelons ici que «!Madame Bovary!» ou «!L’éducation sentimentale!» ont été immédiatement perçus comme «!la démocratie en littérature!»).


Alors que devient le projet de M. Fukutake si Monet c'est moi ? Son temple/musée ne peut remplir sa mission !


L'Art ne peut transcender religions ou philosophies. L'art n'est qu'un moment et ne réconcilie rien... M. Fukutake est confronté à la contradiction fondamentale de son projet : l'humanisme que contient la peinture de Monet implique que Monet s'y évapore s'y dilue au point d'en disparaître.


Monet a quand même fait disparaître le sujet et choisi de ne plus rien peindre (en tous cas rien qui n'ai valeur de sujet). Car ces Nymphéas géantes finalement ne représentent rien... Monet est celui qui a dissout Madame Bovary dans une mares aux nénuphars. Devant un Nymphéa, on est sans Dieu et sans Monet, seul, avec nos congénères. Chaque spectateur est livré à lui-même, mais c'est tout. C'est juste ça, et tout ça.


Comment comprendre alors l’attraction qu’exercent ces Nymphéas sur les masses ?
Qu’elle soit japonaise, européenne ou américaine, la masse éduquée consomme l’art au cours de ses pérégrinations touristiques autour de la planète. Le musée de monsieur Fukutake se destine à être un lieu de pèlerinage pour ces foules polyglottes qui se pressent à Bilbao, New!York, Paris ou Tokyo, à la recherche d’une expérience unique, d’une rencontre avec la beauté, de quelque chose qui donnerait du sens à la vie.
En ce sens Monsieur Fukutake est loin d’être un imbécile et son musée sera à coup sûr une bonne affaire.


Cette expérience devant le grand Art crédite les déplacements des globe-trotters modernes. Le sens se justifie par l’expérience collective.
Le projet de monsieur Fukutake relègue les différences de croyances et d’opinions à des épiphénomènes. Le projet de monsieur Fukutake est celui d’une humanité réconciliée. C’est un projet d’empire. Un empire de sujets (de spectateurs) déracinés et atomisés, rassemblés par la certitude de leur unicité sous la bannière du grand Art démocratique et incontestable.


Ce désir d’empire est celui d’une démocratie globale remplissant sa fonction fédératrice sans courir le risque d’être bousculée, renversée, refusée par quelques expériences ou aventures de groupuscules revendiquant une quelconque spécificité.
En ce sens le projet de Monsieur Fukutake en dit long sur le visage de la politique occidentale contemporaine. Il nous raconte vers quelles utopies nous marchons, ou ne marchons plus.

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