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: Ecriture et Processus

Propos recuellis par Julien Fisera

Quel lien entretenez-vous avec le roman de Flaubert, Madame Bovary ?


Caroline Guiela : Avant tout, il ne s’agit pas d’une adaptation ; Madame Bovary est un point de départ, une source d’inspiration. Nous ne prenons pas le roman de Flaubert pour en réaliser son résultat scénique.
Comme pour notre précédent projet Se souvenir de Violetta s’inspirant de La dame aux Camelias d’A. Dumas fils, notre travail consiste à extraire un univers et ses problématiques dans ce que nous propose Flaubert pour, dans un deuxième temps, s’en emparer librement sur le plateau.
Il ne s’agit pas non plus d’une adaptation car notre processus de travail ne permet pas ce genre de terminologie. Nous écrivons à partir d’improvisations. Pas une seule ligne n’est écrite en amont. Cette forme d’écriture imbriquée dans le travail de plateau ne conçoit plus l’écriture uniquement comme un texte, des mots. Le corps des comédiens, leurs rythmes et leurs silences, leurs timbres de voix, leur histoire, tout cela co-existe sans hiérarchie avec Flaubert. C’est cela qui nous intéresse particulièrement dans ce genre de processus et son résultat : il témoigne toujours de la réalité dans laquelle nous sommes : cette réalité c’est nous en 2011 d’une part et notre rapport à Flaubert de l’autre. Mariette Navarro écrit à partir de cette collision.


Quel est donc la place de Mariette Navarro dans ce dispositif ?


C. G. : Sa place est très claire : Mariette est l’auteur d’un spectacle qui commence à s’écrire au premier jour des répétitions. Mariette regarde, avec toute sa sensibilité d’écrivain et recueille. Chaque jour (nous en avons déjà fait l’expérience lors d’un laboratoire de recherche au CDN d’Angers) elle revient avec une proposition d’écriture. Le “résultat” sur papier peut être soit une archive très précise d’un moment qui nous a intéressé durant les improvisations, soit une écriture plus classique mais dont la source serait née d’une réalité des corps au contact d’ un espace.
Je reviens sur la question de l’adaptation. Mariette n’écrit pas une adaptation car si je lui avais demandé cela, j’aurais eu l’impression de la faire disparaître derrière Flaubert et Flaubert n’est pas là pour nous faire disparaître (ça pourrait être le titre de notre spectacle !) mais au contraire, Flaubert nous renvoie par ses questions à nos questions propres et personnelles. Il nous révèle à nos questions. Le lien que Mariette entretient avec Flaubert est le même que le mien, nous l’aimons.
Mais nous ne l’aimons pas de loin, comme une statue du patrimoine littéraire français, nous l’aimons avec toute l’arrogance et le risque de l’amour. Le risque de laisser quelqu’un entrer dans nos vies, et l’arrogance de mettre en scene scène ce que son intrusion a produit chez nous, ce qu’il a fait de nos corps.


Est ce que Madame Bovary serait donc un materiau ?


C. G. : Peut-être oui, mais bizarrement j’hésite toujours à employer ce terme. Il me paraît tronqué car tout de suite, le matériau nous donne la sensation de “mettre à mal”. Il y a comme une situation de surplomb sur l’auteur. Nous n’entretenons pas ce rapport là à Flaubert. Il ne s’agit pas de tordre Flaubert mais d’assumer une filiation et donc de le rendre à partir de ce que nous sommes. Je parle de filiation car cela me fait penser au lien que l’on peut entretenir avec nos parents. Il ne s’agit pas de devenir notre père ou notre mère, nous ne le pouvons pas car nous sommes fondamentalement fondus dans une autre époque et que nous n’avons pas le même corps ni la même parole. La filiation se reconnaît par flash, par surgissement et non pas dans la copie parfaite et conforme. Comme dans la vie, nous rencontrons des gens dont nous connaissons les parents. Nous prenons un café avec eux, et tout d’un coup, par la façon qu’ils ont eu de prendre la cuiller pour remuer le sucre, le visage du père ou de la mère surgit. C’est ce surgissement là que nous cherchons avec Flaubert, tout en restant ce que nous sommes le reste du rendez-vous...


Pour avoir vu Se souvenir de Violetta et suivi de loin la création je sais que l’espace joue un rôle très important, tant dans le résultat final que dans le processus. Pourrais-tu m’expliquer pourquoi ?


C. G. : Oui, l’espace est une chose très importante dans notre travail. Il délimite de façon très claire les improvisations car il est présent au premier jour des répétitions. La raison de cela est très simple, être dans une cuisine ou dans une salle de bal, cela change tout, pour le regard du metteur en scène et le corps du comédien. Nous définissons donc avec Mariette mais aussi avec la scénographe Alice Duchange le lieu dans lequel les personnages vont exister. Le lieu pré-existe au texte comme il y préexiste dans la vie. L’homme ne parle jamais dans un espace neutre. Il est dans le monde: chez lui, dans un jardin, dans un tribunal ou chez ses parents. Le lieu est imbriqué à la parole.


Est-ce une nouvelle forme d’écriture contemporaine ?


C. G. : Cette forme d’écriture pose la question du processus. Ce n’est donc pas l’écriture qui est en soit contemporaine, c’est le lieu pour la faire exister qui est au centre de nos préoccupations actuelles.


Mariette Navarro : Je ne dirais pas qu’il s’agit d’un “nouveau” mode d’écriture contemporaine, mais en tous cas il s’agit de rendre contemporaine l’écriture de la mise en jeu des textes. Dans le sens de concomitantes. Et brouiller les pistes d’une façon de faire traditionnelle qui voudrait que l’une (l’écriture) préexiste sur l’autre (la mise en scène).
Je ne crois pas que les écritures de plateau soient si nouvelles que ça, mais ce qui les rend si difficiles à définir, à catégoriser, c’est qu’elles ont chacune leurs propres règles (créations collectives sans metteur en scène, théâtre sans texte, créations mêlant différents arts scéniques : cirque, danse, musique…)
Ce qui définit ce que nous cherchons à faire autour de Flaubert, c’est justement que nous voulons construire un objet “en soi”, avec ses règles propres. Où les éléments ne peuvent être pris séparément mais fonctionnent parce qu’ils sont ensemble. Il nous faudra trouver une logique propre et unique (et non pas une logique d’écriture, puis à partir de celle-là une logique de mise en scène).
Penser l’objet théâtral comme un. Comme indivisible. Penser tous les éléments de la mise en scène dans cette logique-là.
Accepter qu’il n’y aura pas une “adaptation” préalable ou un texte préalable.
Il y aura, par contre, un immense travail préalable d’architecture, de construction, d’étayage et de logique. Immense, parce qu’il faudra que tous les éléments soient avancés ensemble. Au fur et à mesure. Qu’on ne laisse pas une pièce du puzzle pour après. Ça ne rentrera pas, ce ne serait alors que de la décoration, et pour l’instant, peu importe la décoration. Nous cherchons le fonctionnement, la machine. La logique interne, et unique, qui fera qu’on racontera à la fois quelque chose de nous et quelque chose de Flaubert, quelque chose du présent, quelque chose du livre et quelque chose du plateau.
C’est affirmer le théâtre comme un art total, composite, et non pas un art subordonné à un autre. Bien sûr chacun travaille à partir de sa place, et pour que les choses se répondent il faut bien qu’un des éléments soit avancé d’abord. Peut-être une rêverie autour de Flaubert, peut-être un lieu, peut-être une histoire, peut-être un mouvement, peut-être des présences particulières sur le plateau, pas nécessairement, en tous les cas, un “texte de théâtre”.

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