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: (2/2) Entretien avec l'équipe artistique

Propos recueillis par Laurent Muhleisen

Entretien avec Ivo van Hove, Bart Van den Eynde & Jan Versweyveld.

Laurent Muhleisen. Électre et Oreste sont animés par une même haine. Comment le processus de leur « passage à l’acte » se met-il, selon vous,en place ? Quel rôle y joue le personnage de Pylade ?


Ivo van Hove. Malgré leurs conditions de vie très différentes, Électre et Oreste éprouvent le même sentiment d’injustice. Ils souffrent des conséquences du mal commis par leur mère et son amant. C’est en tout cas leur point de vue...
Dans ce contexte, Pylade est un personnage intéressant. Prince héritier, il se joint à Oreste pour des raisons, disons, romantiques. Il souffre d’un manque d’identité propre ; participer au plan d’Oreste lui donne un but dans la vie, il a alors le sentiment d’exister.
N’oublions pas que son projet est de tuer Hélène, elle-même une mère. C’est dans la vengeance qu’il trouve l’amitié, une famille, un nid.


Bart Van den Eynde. En effet, si leurs positions de départ sont très différentes, Électre et Oreste partagent le même sentiment d’exclusion, la même impression de ne pas être à leur place, la même impuissance du dépossédé, la même conviction naissante que seule la violence(illégitime), jusqu’au meurtre, peut changer cela, et, enfin, les mêmes œillères (le même aveuglement)qui leur permettent d’ignorer toutes les conséquences tragiques de leurs actes. Lorsqu’ils se retrouvent, ce sont tout de suite des âmes sœurs liées par le même destin : ils ont trouvé une attache et partagent un but. La vacuité de leurs anciennes vies s’est miraculeusement envolée. Le frère et la sœur ont un lien exclusif et un but ultime qui parlent tout de suite à Pylade, lui qui possède tout, et rien à la fois. En intégrant legroupuscule, il gagne simultané-ment de la grandeur et une direction. Oreste veut tuer l’usurpateur de son trône, Électre les assassins de son père. Pylade, lui, veut appartenir à un groupe, faire quelque chose qui a du sens.
Ensemble, ils vont tout enflammer de leur rage, lancer une tempête de destruction.


L. M. Votre espace scénique est composé d’un sol de boue, d’une« boîte noire » et de percussions,comment s’articulent-ils avec votre récit ?


Jan Versweyveld. Les deux pièces d’Euripide se déroulent dans deux espaces différents : Électre se situe dans un monde rural. Oreste en revanche se joue en face du palais, dans la ville d’Argos. J’ai choisi de faire de ces deux lieux un seul espace, au milieu duquel se trouve une boîte noire flanquée d’une porte par laquelle on entre et sort.


I. v. H. L’intérieur de cette boîte représente une sorte de trou noir dans lequel on disparaît. On peut également monter dessus. Pour y pénétrer, on n’a pas d’autre possibilité que d’emprunter un pont,très étroit, sur lequel on peut toutefois se croiser. Il donne l’impression d’être suspendu, de sorte que les personnages semblent parfois flotter, prêts à s’évanouir dans l’atmosphère. Le but est de ne pas fermer l’espace ; l’espace brut de la scène joue un rôle, il fait partie de la scénographie.
Enfin, deux autres espaces, à jardin et à cour,accueillent des percussionnistes. Eric Sleichim. Le quatuor de percussions se partage une instrumentation acoustique et électro-nique. Deux musiciens jouent des timbales d’envergures différentes et de diverses percussions, alors que les deux autres jouent de la guitare électrique, de la batterie électronique et de la marimba-midi qui génèrent de multiples échantillons sonores. Le choix des timbales comme instrument « principal » s’est imposé d’abord par la noblesse de leur son : elles peuvent être accordées et donc avoir une fonction mélodique,mais aussi par leur magnifique apparence de grand futs en cuivre martelé qui accentue le côté rituel. Les timbales se conjuguent avec d’autres instruments de percussions tels que les tam-tam(gongs très riches en harmoniques), bols tibétains, crotales,crécelles, fuseaux chantants et flûtes.
La présence du quatuor et ses interventions musicales s’inspirent des ensembles musicaux des théâtres nô, kabuki et bunraku. Une présence quasi constante qui nourrit le récit sans pour autant en accentuer systématiquement les tournures dramatiques.


J. V. Et dans cet environnement sonore, on ne verra que deux couleurs sur scène : le noir, cou-leur de la boîte, et le brun foncé,couleur du sol, de la boue qui le recouvre. Cette boue symbolise la situation des trois jeunes gens, Électre, Oreste et Pylade, une situation sans espoir, où toute vie future est inenvisageable. Mais elle ne constitue pas seulement un sol sur lequel les personnages marchent : elle peut les avaler, les faire disparaître. C’est le cas d’Oreste dans la deuxième partie du spectacle, lorsqu’il est face au palais d’Argos. C’est sa sœur qui l’a placé là, pour accuser ceux qui sont à l’intérieur. Mais comme il est recouvert de boue, il est en quelque sorte invisible. Le noir de la boîte détonne au milieu du brun très foncé du reste du décor. Mais l’espace est ouvert,comme le souligne Ivo ; plus qu’un décor, c’est un paysage.


Propos recueillis par Laurent Muhleisen
Conseiller littéraire de la Comédie-Française

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