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: (1/2) Entretien avec l'équipe artistique

Propos recueillis par Laurent Muhleisen

Entretien avec Ivo van Hove & Bart Van den Eynde

Laurent Muhleisen. Vous signez une adaptation de deux pièces d’Euripide. Pourquoi, des trois tragiques grecs ayant abordé l’histoire des Atrides, avoir choisi cet auteur en particulier ?


Ivo van Hove. Les pièces d’Euripide sont d’une brutalité et d’un réalisme presque contemporains. Les sujets qu’il aborde, les histoires qu’il raconte sont très connus, mais il le fait d’une manière très différente d’Eschyle ou de Sophocle, en s’intéressant davantage aux émotions et à la psychologie des personnages. Il situe l’intrigue d’Électre dans un monde rural, aux abords de la ville, loin du centre politique. La fille d’Agamemnon et de Clytemnestre a été bannie, elle vit en exil et a été donnée en mariage àun laboureur. Elle a une conscience aiguë de ne pas vivre selon le rang auquel sa naissance lui donne droit, et d’être oubliée.
La situation d’Oreste est différente. Il est lui aussi banni d’Argos, mais vit son exil dans le luxe, dans le palais d’un roi.
Néanmoins, lui aussi se sent mal traité. Les points de départ du frère et de la sœur divergent mais leur but reste le même : la vengeance. Pour moi,il s’agit là d’une histoire d’aujourd’hui.


Bart Van den Eynde. Nous avions déjà pensé, dans un autre contexte, à mettre en scène l’Électre d’Euripide. Notre première idée était de partir de trois facettes radicalement différentes du personnage : celle qui est en veille, qui attend son frère, celle qui devient un ange vengeur à son retour, et une troisième,celle qui émerge après la vengeance, après que ce but ultime a été atteint.
Quand il a été question de revenir mettre en scène une pièce à la Comédie-Française,cette idée avait évolué. Dans plu-sieurs de ses spectacles, Ivo avait déjà réuni plusieurs pièces d’un même auteur (Les Tragédies romaines et Kings of Wars ont es juxtapositions de trois textes de Shakespeare). Cela permet d’aborder avec plus de complexité l’univers d’un auteur et de proposer un reflet encore plus percutant de notre société. Électre et Oreste montrent comment, dans la tête des personnages, le salut n’est accessible qu’en choisissant le chemin de la violence radicale.
Réunir ces deux textes en une pièce, c’est accélérer ce processus, animé par une rage et une férocité extrêmes, et montrer comment s’opère la radicalisation.


L. M. C’est votre deuxième spectacle à la Comédie-Française,votre souhait est qu’il constitue avec le précédent – Les Damnés– un diptyque. En quoi le texte de Visconti et ceux d’Euripide se font-ils, à votre avis, écho ? Quelle place y occupe la tragédie ?


I. v. H. Dans Les Damnés, on trouve deux jeunes hommes, Martin (Christophe Montenez) et Gunther (Clément Hervieu-Léger) ; ce sont d’abord des personnages totalement apolitiques, qui vont devenir des fascistes pour des raisons purement personnelles. À aucun moment ils ne croient à l’idéologie nazie. Ce processus de radicalisation est le problème central de la mise en scène d’Électre / Oreste. La fin des Damnés est le point de départ d’Électre / Oreste.


B. V. d. E. Dans Les Damnés, Visconti dénonce un système de violence qui anéantit tout surson passage en montrant la sou-mission et la destruction de l’ensemble des sphères sociétales engendrées par des forces politiques. C’est une analyse structurelle et radicale d’une plus large dégradation : celle du libéralisme.
Les pièces d’Euripide ne se focalisent pas sur ceux qui sont au pouvoir, mais sur ceux qui en sont rejetés, ceux qui n’en ont pas et qui n’ont donc pas accès à une utilisation légitime de la violence.Ce sont des exilés, impuissants dans une société où l’État revendique le monopole de la violence.


Propos recueillis par Laurent Muhleisen
Conseiller littéraire de la Comédie-Française

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