theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « El tiempo todo entero (Le temps tout entier) »

El tiempo todo entero (Le temps tout entier)

+ d'infos sur l'adaptation de Romina Paula ,
mise en scène Romina Paula

: Entretien avec Romina Paula 1/2

Propos recueillis et traduits par Christilla Vasserot pour le Festival d’Automne à Paris

Pourquoi avez-vous décidé d’écrire une nouvelle version de la pièce de Tennessee Williams, La Ménagerie de verre ?


J’ai travaillé sur La Ménagerie de verre quand je me suis présentée à l’EMAD (l’école d’art dramatique de Buenos Aires). Depuis, c’est un texte qui me fascine. Je réfléchissais à la mise en scène d’une nouvelle pièce et j’ai repensé à La Ménagerie de verre. Mais les droits sont chers, alors j’ai écrit ma propre pièce, qui dialogue avec celle de Tennessee Williams. Elle est et elle n’est pas La Ménagerie de verre. Dans Le temps tout entier, c’est comme si Laura (qui dans ma pièce se prénomme Antonia) prenait la parole, comme si au lieu que tout se passe dans la tête de Tom, cela se passait dans celle de Laura. Je voulais me représenter l’instant exact où le coeur de Laura se brise, au moment où son frère s’en va : une scène qui n’existe pas dans La Ménagerie de verre, elle reste implicite. Alors que dans Le temps tout entier, nous assistons au moment où le coeur d’Antonia se brise.
Par ailleurs, La Ménagerie de verre est une pièce étrange dans la production de Tennessee Williams. Il paraît que c’est sa pièce la plus autobiographique. Il a lui-même déclaré la chose suivante dans la revue Paris Review : « Je crois que La Ménagerie de verre est née de l’émotion intense que j’ai ressentie en voyant que ma soeur était en train de perdre la tête. » Je ne veux pas dire par là que j’accorde de l’importance au fait qu’une pièce soit autobiographique ou non, mais il me semble que celle-ci renferme une douleur qui lui confère toute sa puissance. J’ai l’impression que dans d’autres pièces de T. Williams, dont certaines que j’apprécie tout particulièrement, il y a toujours une certaine distance, un certain cynisme, alors que ce n’est pas le cas dans celle-ci. La Ménagerie de verre est une pièce pathétique, si l’on considère le pathétique comme ce qui suscite ou manifeste une vive émotion, un sentiment de douleur, de tristesse ou de mélancolie. Et c’est ce qui la rend profondément mélodramatique. Avoir entre les mains un mélodrame, jouer un mélodrame, pour les acteurs et moi c’était captivant.


Pourquoi ce titre : Le temps tout entier ?


Cette mise en scène est un travail sur le temps et sur le silence, bien que les personnages parlent beaucoup. Un autre titre possible était Le Silence énorme, lui aussi inspiré de T. Williams, de sa pièce Été et fumées : le silence entre deux personnes, ce que l’on ne parvient pas à dire. Finalement, la compagnie s’est appelée El Silencio et j’ai intitulé la pièce Le temps tout entier. Dans cette pièce, la parole est en quelque sorte donnée à la soeur, Antonia. Loin d’être un personnage faible, elle fait de sa phobie un discours, une façon de voir le monde. La grammaire de la pièce est celle de ce personnage, la gestion du temps est aussi la sienne. Elle passe beaucoup de temps toute seule et enfermée. L’emploi du temps d’Antonia ressemble à celui d’une personne oisive. Mais cette oisiveté ne vient pas compenser le temps de travail ; c’est un temps presque réflexif, un temps personnel. L’action de la pièce se déroule dans ce temps mental, le temps proposé par Antonia, un temps déconnecté de toute productivité. Par ailleurs, la mise en scène, avec sa lumière constante – presque comme celle d’un poulailler –, qui ne s’éteint jamais, donne une sensation d’irréalité : on a l’impression d’un jour ou d’une nuit éternelle, la perception du temps est altérée, on ne sait plus combien de temps est passé, depuis combien de temps nous sommes là en train d’observer ces gens.


Les personnages de la pièce sont argentins mais ils ont vécu au Mexique, le frère et la soeur sont nés au Mexique. Rien n’est explicitement dit, mais on devine une blessure. Que vouliez-vous représenter de l’histoire de l’Argentine ? En quoi ces personnages sont-ils emblématiques d’une histoire nationale ?


Très peu de choses sont dites à ce sujet dans la pièce. On sait juste que les enfants sont nés au Mexique car leur mère, expliquent-ils, « a vécu un temps là-bas ». Dans une ancienne version de la pièce, j’avais écrit le mot « exil », mais j’ai ensuite préféré l’enlever, j’ai laissé tout ça comme un hors champ, quelque chose qui est là, que l’on peut souligner ou pas, mais qui n’a pas un sens univoque. De nombreux Argentins, des intellectuels notamment, ont dû s’exiler dans les années soixante-dix, et nombre d’entre eux sont partis au Mexique. Beaucoup sont revenus au moment du rétablissement de la démocratie. La pièce dialogue avec cette réalité, mais je n’avais pas envie de l’enfermer dans une référence historique concrète. D’ailleurs, le Mexique est pour ces personnages un endroit mythique, fondateur, un lieu presque forgé par leur imagination, surtout celle des enfants. Au début, Antonia prétend qu’ils sont mexicains, c’est ridicule, ils parlent comme de parfaits Argentins de Buenos Aires. Ils mentionnent ensuite le fait qu’ils sont nés là-bas. Leur identité se confronte à leur autre nationalité, celle d’un pays qu’ils ont à peine connu, qui a nourri leur imagination. Le Mexique occupe un peu la place du père dans La Ménagerie de verre : un homme dont on ne sait rien, excepté le fait qu’il est loin et qu’il voyage, on peut donc projeter des tas de choses sur lui. Par ailleurs, la figure de Frida Kahlo est comme une référence pour Antonia, et pour sa mère peut-être aussi, à plus d’un titre.


En quoi Antonia, Lorenzo et leur ami Maximiliano sont-ils représentatifs de la société argentine d’aujourd’hui ?


Je n’oserais pas dire qu’ils sont représentatifs, je dirais plutôt qu’ils sont possibles, ou reconnaissables. Ils font partie d’une classe moyenne qui travaille, vaguement aisée dans le cas du frère et de la soeur, un peu moins dans le cas de Maximiliano. Tous les trois font preuve d’une sorte d’apathie, d’un manque de combativité. Antonia est certes porteuse d’un discours qui pose des questions, mais elle n’agit pas, sa combativité reste limitée, me semble-t-il. Disons qu’ils sont plutôt représentatifs de la jeunesse de la fin des années quatre-vingt-dix ou du tout début du XXIe siècle, beaucoup plus que de la jeunesse argentine d’aujourd’hui. L’Argentine a connu en 2001 une très forte crise économique, de nombreux jeunes ont émigré, en Espagne pour la plupart, pour chercher du travail, des perspectives d’avenir. Lorenzo représente peut-être un peu cette envie de sauver sa peau. Aujourd’hui la plupart de ces jeunes sont de retour, certains cherchent à fuir la crise en Europe, et le panorama politique de l’Argentine actuelle offre quelques notes d’espoir. Les jeunes ne sont plus aussi apathiques que ce que nous avons été dans les années quatre-vingt-dix. Mais gardons-nous tout de même de généraliser, rien n’est jamais aussi tranché.


Des personnages ont vécu à l’étranger, d’autres sont nés à l’étranger ou leur famille est d’origine étrangère, Lorenzo veut s’en aller… S’agit-il là d’une allégorie de l’Argentine ?


Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une allégorie. C’est une donnée très concrète : l’Argentine est en partie un pays d’immigrés et, un siècle plus tard, les petits-enfants de ces immigrés ont euxmêmes cherché à émigrer, à faire le trajet du retour, en sorte. Trois générations sont représentées dans la pièce : Ursula parle de son père hongrois qui a immigré après la Première Guerre Mondiale, pour tenter sa chance, comme bien d’autres ; elle-même a dû s’exiler au moment de la dictature, mais elle est revenue ; ses enfants sont nés au Mexique mais ils se sentent argentins, ils ont vécu presque toute leur vie en Argentine ; Lorenzo, enfin, veut émigrer en Europe, ce qui serait une façon de boucler la boucle, de retourner sur le vieux continent. Tous ces mouvements, on a pu massivement les observer en Argentine, à différents moments et pour différentes raisons.


Vous avez créé Le temps tout entier dans l’espace Callejón, à Buenos Aires. La scénographie a-t-elle été conçue pour cet espace en particulier ?


Oui, absolument. Au départ, je voulais que ce soit un cube blanc, j’avais imaginé un espace très soigné, aseptisé, pour mettre en scène un mélodrame. Nous avons fait fabriquer l’armature des parois, il ne manquait plus qu’à les recouvrir de toile blanche. Mais quand j’ai vue cette structure en fer, j’ai trouvé que cela valait le coup de la conserver telle quelle : c’est comme une cage, c’est en parfaite cohérence avec la pièce.


Dans quels circuits vos pièces sont-elles jouées ?


Dans ce qu’à Buenos Aires on appelle le circuit indépendant. Ce sont des salles où tiennent cent spectateurs tout au plus. Les pièces mises en scène peuvent recevoir une subvention de l’État, mais ce sont de très petites sommes.


Avez-vous été influencée par certains auteurs ou metteurs en scène en particulier ?


Les metteurs en scène qui m’ont le plus influencée sont Alejandro Catalán et Ricardo Bartís : leur façon de pratiquer le théâtre et de réfléchir constamment sur la pratique théâtrale est pour moi une référence. Un dramaturge à mon sens indispensable est Mauricio Kartun, dont j’ai d’ailleurs été l’élève à l’école d’art dramatique. Et il y a aussi des auteurs-metteurs en scène dont l’oeuvre m’intéresse au plus haut point : Federico León, Beatriz Catani, Daniel Veronese, Mariana Obersztern, Lola Arias, entre autres.


Comment la compagnie El Silencio s’est-elle formée ?


Au départ, nous nous appelions le Grupo Primos (« les cousins »), puis de nouvelles personnes nous ont rejoints, alors nous avons changé de nom. Esteban Lamothe, Esteban Bigliardi, Pilar Gamboa et moi-même – les quatre premiers membres de la compagnie – nous étions connus dans le cours de théâtre d’Alejandro Catalán. Nous sommes devenus très amis, c’était il y a dix ans. Puis nous avons commencé à travailler ensemble. Bref, nous sommes liés par une amitié qui s’est forgée autour du théâtre. Et Susana Pampín s’est jointe à nous pour jouer dans Le temps tout entier.


Vous avez également écrit deux romans. Quelle différence faites-vous entre l’écriture théâtrale et celle d’un roman ?


Quand j’écris une pièce, je le fais pour la scène, j’ai un rapport plus pratique à l’écriture théâtrale : généralement, j’écris une pièce parce que je vais la mettre en scène. L’écriture d’un roman est plus individuelle, il n’y a pas de date butoir, je me sens plus libre, mais je tarde aussi beaucoup plus… Jusqu’à présent, j’ai écrit au rythme d’environ une pièce tous les deux ans et un roman tous les quatre ans.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.