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Don Quichotte ou le vertige de Sancho

+ d'infos sur l'adaptation de Régis Hébette ,
mise en scène Régis Hébette

: Notre mise en scène

Nous avons choisi de rendre compte de notre mise en scène à partir des problématiques du roman qui ont le plus sensiblement influencé nos choix esthétiques et dramaturgiques. Présentées séparément pour en faciliter la compréhension, ces problématiques sont en réalité organiquement liées et demandent à être appréhendées comme telles. Elles peuvent revêtir à l’écrit un caractère explicatif, voire didactique, que nous avons pris soin d’éviter à la scène.
Nous nous sommes en effet efforcés de respecter l’esprit d’une oeuvre qui refuse de séparer culture savante et culture populaire, puissance comique et complexité philosophique, et qui cherche à travers la présence de modèles hétérogènes à dépasser les catégories, mais aussi l’ordre et les hiérarchies auxquelles elles conduisent.


La pauvreté de Don Quichotte.
Maintes fois évoquée par Cervantès, elle est consubstantielle à notre héros et à sa relation au monde. Elle est le signe et la preuve de son désintérêt pour l’avoir et les biens matériels.
Cette pauvreté, qui est une constante dans notre parcours et notre rapport au plateau, était une donnée initiale du projet. Nous avons, nous aussi, recherché une forme d’ascèse qui nous a conduit à réduire le nécessaire à l’indispensable ; cette pauvreté n’est pas la marque d’un misérabilisme mais le moyen d’accéder à une théâtralité qui ouvre l’imagination et fait de l’invention poétique l’enjeu premier de la représentation.
Elle est aussi une recherche de simplicité et d’épure, notable pour ce qui est des costumes et de la scénographie. Il n’y a pas de décor sur notre plateau mais des éléments scéniques qui évoquent plus qu’ils ne représentent ; ils prennent une signification différente selon les situations, organisent l’espace et permettent sa permanente reconfiguration.
La lumière du spectacle n’échappe pas à ce parti pris mais elle est toutefois marquée par une recherche plus sophistiquée autour des jeux d’ombres notamment.


La mise en abîme.
Par ses commentaires et ses intrusions régulières, Cervantès est toujours présent dans le roman. Il l’est d’autant plus qu’il prétend ne pas en être l’auteur. Il y aurait ainsi les aventures de Don Quichotte d’une part, le texte écrit par un certain Sidi Ahmed Benengeli les relatant d’autre part, et enfin les commentaires de Cervantès (à cela s’ajoute encore un quatrième niveau puisque Don Quichotte découvre un plagiat de ses aventures dans une librairie de Barcelone…).
La mise en abîme du récit est donc une donnée incontournable, inhérente à l’oeuvre.
Nous lui avons cherché des correspondances au plateau en démultipliant la figure de Don Quichotte: il y a ainsi trois Quichotte qui gravitent autour de Sancho notamment, pivot de notre mise en scène.
Les Don Quichotte sont alternativement (et parfois simultanément) sujets du récit et producteurs des signes qui accompagnent, commentent voire génèrent ce récit. Véritables démiurges, ils sont en quelque sorte à la fois Don Quichotte et Cervantès : immergés dans l’aventure par moments, et capables de s’en extraire à d’autres. Cette multiplicité (le chiffre 3 évoquant l’infini..) est aussi source de jeu, de surprise, et de vertige… car si les trois Don Quichotte sont sans aucun doute Don Quichotte, ils n’en sont pas moins différents ; rendant ainsi la figure de notre héros plus insaisissable et complexe.


Pour Don Quichotte tout fait signe et tout signe est sujet à interprétation.
Nous avons fait nôtre ce credo de Don Quichotte et fait du jeu avec les signes, notamment graphiques et/ou sonores, une constante de notre mise en scène. En figure accomplie de l’universalisme et de la Renaissance, Don Quichotte est tour à tour peintre/illustrateur, bruiteur, musicien, chanteur ou conteur… produisant du signe en abondance pour alimenter sa propre fiction que l’on pourrait croire prioritairement destinée à Sancho…
On trouve ainsi à jardin : une table de bruitage équipée d’un dispositif électro-acoustique sommaire : « animée » par les Quichotte, elle matérialise par le son nombre d’objets et de situations. A cour : 3 parallélépipèdes noirs de deux mètres par deux, servent notamment de support aux illustrations éphémères réalisées par les Quichotte ; peintes à l’eau, elles représentent un paysage, un château… et disparaissent par l’enchantement de l’évaporation après quelques instants.
Ces Trois panneaux évoquent aussi possiblement par leur forme et leur disposition un livre monumental ouvert, avec sa reliure en retrait. Ce même livre deviendra à son tour un théâtre dans lequel Don Quichotte choisit de représenter certaines scènes pour Sancho.


La distorsion entre la chose et sa représentation.
Don Quichotte voit dans l’imitation le plus sûr moyen d’accéder à l’essence des choses. Il imite du dedans, pour approcher « au plus près de la perfection de la chevalerie ». Il est cet homme paradoxal qui ne triche ni avec lui-même, ni avec ses semblables mais qui, prenant le signe pour la chose, engendre en permanence méprise et confusion.
Cette incapacité à distinguer les ressemblances des différences, les choses des apparences, est le sel du roman et de sa complexité. Pour nous, qui sommes au théâtre, elle est aussi source de questionnement sur le pouvoir de la représentation, sur la vérité de l’illusion et la sincérité de ses « mensonges ».
Mais cette confusion est également, et peut-être avant tout, une formidable matière à jeu. Dans notre mise en scène, un cheval dessiné grandeur nature sur un panneau de bois à roulettes sera tenu par Don Quichotte pour être Rossinante. Mais pour Sancho ce postulat n’a rien d’une évidence et il pourra être momentanément accepté et tout aussi bien subitement refusé.


C’est à une lente et progressive initiation de Sancho à la poétique du théâtre que nous assistons. Parce qu’on l’aura compris, c’est aussi des pouvoirs du théâtre et de la théâtralité que traite notre mise en scène à travers le roman de Cervantès.
Don Quichotte lui-même nous conforte dans notre démarche déclarant, chapitre XI du volume II : « Depuis l’enfance, je suis grand amateur de tréteaux, et, quand j’étais jeune, j’avais la passion du théâtre ».

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