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Que crèvent les protagonistes

mise en scène Gabriel Calderón

: Entretien avec Gabriel Calderón

Propos recueillis par Irène Sadowska Guillon - Espaces Latinos n° 274 - Janvier-février 2013

Reconnu comme un rénovateur de la scène uruguayenne actuelle et auteur phare de la nouvelle génération des dramaturges, à 30 ans, Gabriel Calderón a aujourd'hui à son actif une quinzaine de pièces et plus de vingt-cinq spectacles de théâtre et de danse.
Ses textes traduits en français, anglais, allemand, portugais sont joués dans plusieurs pays d'Amérique latine et d'Europe.
Son théâtre très politiquement incorrect, subversif, s'en prend à tous les tabous de la société actuelle uruguayenne, l'armée, la religion, la sexualité, le règlement de comptes avec le passé, les crimes de la dictature, traitant en même temps des phénomènes socio-politiques universels : violence, guerres, terrorisme, désarroi, angoisse de l'avenir des jeunes.
Invité au Théâtre des Quartiers d'Ivry qui présente trois de ses pièces, Gabriel Calderón se confronte pour la première fois au public français en tant qu'auteur et metteur en scène.

I. S. G. - Quels ont été à vos débuts vos modèles d'écriture dramatique et de mise en scène ?


G. C. - La première chose qui m'a fasciné c'était le travail dans des espaces non conventionnels que j'ai découvert grâce à mon professeur, metteuse en scène uruguayenne, Mariana Perkovich qui aujourd'hui travaille avec moi dans ma compagnie. Elle m'a appris qu'il fallait chercher à faire du théâtre hors des salles institutionnelles, dans des espaces alternatifs et dans des situations de la vie quotidienne. Tchekhov disait « tout le théâtre devrait se faire en dehors du théâtre. »
J'ai appris aussi que le théâtre non conventionnel avait besoin de metteurs en scène non conventionnels qui ne savent pas tout, qui doutent, se trompent et d'acteurs non conventionnels qui ne cherchent pas la sécurité mais prennent des risques et travaillent dans des conditions non conventionnelles pour un public non conventionnel qui ne s'assied pas pour regarder mais qui participe, bouge, parle.


I. S. G. - De quels courants du théâtre uruguayen, latino-américain ou européen vous sentez-vous proche ?


G. C. - J'ai été attiré par divers courants. À un moment par le théâtre allemand, surtout celui de Castorf et de Marthaler. Puis par un courant de théâtre latino-américain, chilien, argentin et uruguayen où on revenait à une grande économie de moyens scéniques pour aborder des conflits complexes. La dramaturgie française était toujours une référence pour moi, surtout Koltès, dont je lis et relis les oeuvres. C'est une grande école d'écriture. Le verbe chez lui est comme prédisposé pour devenir chair de l'acteur et action sur scène. Même si cela existe aussi chez Lagarce ou quelques autres, personne n'est arrivé à faire incarner le verbe comme l'a fait Koltès.


I. S. G. - Comment définiriez-vous l'évolution sur le plan formel et thématique de votre écriture ? Quelles en ont été les étapes ?


G. C. - Je ne dirais pas qu'il y a eu des étapes successives mais plutôt des vecteurs simultanés. J'écris à la fois deux ou trois types de théâtre différents selon mon état d'esprit. La première veine correspond plutôt à la recherche scénique sur le jeu d'acteur et sur l'espace qu'à l'écriture. Mi Muñequita résulte de ce type de recherche alors que les textes et la forme scénique de Ex, Ore, Uz, résultent de recherches beaucoup plus concrètes. Dans ces pièces l'humour et la radicalité sont des moyens de subversion du pouvoir de certaines institutions trop sacralisées dans mon pays : la religion, l'éducation, l'armée, la famille, la mémoire. Le troisième versant de mon écriture est lié à l'obscénité et à la pornographie, c'est-à-dire tout ce qui est de mauvais goût, grossier, incorrect et que le théâtre laisse en général en dehors de la scène. À cette veine appartiennent des pièces comme Mon petit monde porno, Un jour dans la vie de Monseigneur Rasguño.


I. S. G. - Quelles fonctions a aujourd'hui pour vous le théâtre face au passé, à la dictature uruguayenne et à ses conséquences ?


G. C. - Le théâtre a toujours pour fonction de déranger, d'incommoder, de dérouter le public qui exige, avec chaque fois plus d'insistance, de la distraction. Face à tout cela le théâtre, comme le bouffon de la cour, doit rire du roi, du pouvoir, de la culture officielle, des modes, en sachant qu'il risque sa tête. Pour ce qui est du théâtre politique et du rapport au passé il y a eu en Uruguay des changements substantiels. Durant des années nous avions développé un théâtre comme le faisait Hamlet, qui représentait le crime sur scène pour réveiller la conscience de ceux qui ne voulaient pas le voir. Tout le théâtre politique uruguayen se faisait sur ce modèle. Mais nous avons oublié quelque chose de fondamental, à savoir, tous ceux qui venaient voir ces pièces connaissaient parfaitement l'existence du crime. Ce théâtre au lieu de réveiller les consciences les tranquillisait. Finalement tout se passait comme si Hamlet représentait le crime non pas devant Claudio mais devant un public d'Hamlet. Je pense que maintenant nous devons faire du théâtre comme si nous étions Claudio. Nous devons déranger la conscience d'Hamlet qui a oublié le crime en continuant à croire que la folie est sa réalité.

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