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Du ciel tombaient des animaux

mise en scène Marc Paquien

: Entretien avec Marc Paquien

Propos recueillis par Pierre Notte

Avec Caryl Churchill, c’est l’heure du thé, ou l’heure de la fin du monde ?


Nous sommes à l’heure du thé et de la catastrophe... Caryl Churchill y déploie une comédie insolite au goût de fin du monde. Quatre dames âgées dans un jardin discutent de leur existence, de la vie ordinaire : petits-enfants, programmes télés, oiseaux marins, religion... C’est un après-midi d’été. Parmi elles, une nouvelle voisine, venue d’ailleurs : Cassandre des temps modernes ou fantôme du futur ? Cette dernière a vu la catastrophe du monde et vient délivrer sa parole prophétique, brûlante, pleine d’un humour acerbe...


Savez-vous qui sont ces quatre vieilles ? Des personnages ou des idées ? Des voisines ou des entités ?


Ce sont tout d’abord trois femmes, des voisines, qui ont l’habitude de se réunir pour parler dans le jardin de Sally. Elles sont seules mais pas totalement puisqu’elles sont amies. Et ce lien de l’amitié est très important, puisque le texte porte aussi cette question de la solitude et de l’isolement des personnes âgées dans la société. Donc, ce jardin au milieu de leur maison est un point de ralliement naturel, le lien social. Une femme surgit, une étrangère dont on ne connait que le nom de famille, elle rodait dans la rue et les trois femmes la font entrer dans le jardin, pour discuter. C’est une intrusion, cette femme venue d’ailleurs vient passer ces après-midis avec elles pour pouvoir aussi délivrer son message, le dire sans le dire. Ce qui est intéressant, c’est que ce sont des personnages très incarnés, dont on devine peu à peu l’épaisseur de l’existence. Chacune a une histoire qui se déploie par bribes. Il y a notamment une scène où il n’y a pas de dialogue, mais dans laquelle elles chantent ensemble a cappella, et c’est très émouvant.


Comment avez-vous découvert le texte de Caryl Churchill ?


J’ai découvert Caryl Churchill il y a de nombreuses années, et j’ai toujours eu envie de mettre en scène une de ses pièces, tant son écriture me semble puissante et singulière dans le paysage théâtral. J’avais réalisé avec Nathalie Richard plusieurs de ses pièces dans le cadre des dramatiques de France Culture. J’avais déjà été saisi à l’époque par la manière dont elle peut parler du présent, à travers des sujets comme l’écologie, le clonage, l’avortement, la guerre au Moyen-Orient, l’homosexualité... Tout en expérimentant la langue et les genres. Le tout sans oublier les fondements du théâtre tel que la comédie par exemple. Donc, alors qu’elle a maintenant 80 ans, il me semble primordial de la faire connaître en France.


Quelle a été votre première impression à sa lecture ?


J’ai lu le texte anglais au moment de sa création à Londres, et j’ai vu le spectacle du Royal Court. Dès les premières répliques, j’ai su que cette pièce me convenait, plus précisément à cause d’une réplique de Mrs Jarrett dans les premières lignes :  « Je marche dans la rue et il y a une porte entr’ouverte dans la palissade et derrière, trois femmes que j’ai déjà vues... alors j’entre ». Cette intrusion dans le monde réel d’un jardin anglais à l’heure du thé me paraissait tout simplement fascinante. J’ai eu le sentiment d’être face à un grand texte de théâtre, de part les problématiques qu’il pose sur le monde d’aujourd’hui, par la partition qu’il offre à quatre actrices, d’un certain âge comme le précise Caryl Churchill, et c’est aussi important que ces actrices continuent à être visibles sur les scènes...


Mettez-vous en scène une comédie ? Une tragédie ? Des portraits de femmes ?


J’ai la ferme volonté de mettre en scène une comédie... Catastrophiste. C’est l’art absolu du théâtre de faire entendre le tragique à travers la comédie. À Londres, les gens riaient énormément dans la salle, un rire mêlé d’effroi, totalement jubilatoire. Et c’est ce qui est intéressant aussi avec la partition de Mrs Jarrett : ses monologues annonçant la catastrophe du monde sont aussi totalement absurdes et dé-réalisés. Qui est-elle ? Une folle ou une prophétesse ? On navigue donc entre comédie et tragique, et c’est cela qui est passionnant. C’est une pièce de théâtre totale, qui peut avoir l’apparence d’un objet formel au départ mais qui peu à peu s’avance vers nous pour prendre toute sa dimension, comme un tableau étrange, un Picasso. C’est surtout pour moi un moment d’audace et de vérité, car si Mrs Jarrett décrivait justement non pas le futur mais le présent du monde ? Ce que le texte donne à entendre et à visualiser dans notre imagination, c’est la radicalisation de tous les maux du monde actuel : le développement immobilier et la surexploitation des carrières, la soif des uns, le trop d’eau des autres, l’hyper digitalisation de la société, l’épuisement des ressources... Le monde est devenu un Léviathan maléfique, et ce qui est le plus incroyable, c’est que Caryl Churchill trouve les mots pour le dire.


Échangez-vous avec Caryl Churchill sur la traduction, ou sur votre projet de mise en scène ?


Oui, nous échangeons beaucoup sur la traduction, avec Elisabeth Angel-Perez et Caryl Churchill et aussi les actrices. C’est une langue très construite qui sous un réalisme apparent se révèle riche et complexe, il ne faut pas chercher à l’enjoliver mais à la rendre au contraire dans toute son originalité, voire son étrangeté. Ce qui me semble primordial, c’est ce temps de découverte de l’écriture, car tout est contenu dans le texte bien sûr, ce moment où l’on va vers ce qu’on ne sait pas. Mais les auteurs anglais aiment aussi garder leur part de mystère, font totalement confiance à l’art de la mise en scène, donc il n’est pas besoin de trop en raconter, et c’est agréable aussi... En tout cas, sur la traduction nous échangeons donc beaucoup, sur la précision du texte, car c’est cela qui est le plus important : les mots pour le dire.

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