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Doux oiseau de jeunesse

mise en scène Andrea Novicov

: Préface à Doux oiseau de jeunesse - extrait

par Tennessee Williams

L’année dernière*, j’ai cru qu’une psychanalyse serait profitable à mon art et je m’y suis donc décidé. L’analyste qui connaissait mon oeuvre et y reconnaissait les blessures psychiques qu’elle révèle, me demanda, au début : pourquoi êtes-vous si plein de haine, de colère et de jalousie ?


La haine : je contestai le choix de ce mot. Après une longue et âpre discussion, nous décidâmes que la haine serait un terme provisoire et que nous ne nous en servirions que jusqu’au moment où nous aurions découvert le terme adéquat. Malheureusement, je m’impatientai, et me mis à faire des sauts entre le divan et les plages des Caraïbes. Je crois qu’avant de nous décider à un cessez-le-feu, j’avais réussi à persuader le docteur que la haine n’était pas le mot juste, qu’il y avait quelque chose d’autre, et un autre mot pour cela que nous n’avions pas encore découvert, et nous en restâmes là.


Colère ? Oui. Jalousie ? Oui. Mais non pas Haine. Je crois que la haine est un sentiment qui ne peut exister que dans l’absence de toute intelligence. Il est significatif que les bons médecins ne la ressentent jamais. Ils ne haïssent pas leurs malades, même si ceux-ci sont haïssables, pour leur concentration maniaque et impitoyable sur leurs ego torturés.


Puisque j’appartiens à la race humaine quand j’attaque son comportement vis-à-vis de ses semblables, il est évident que je m’attaque en même temps, sinon je me considérerais non pas comme humain, mais comme supérieur à l’humanité. Ce n’est pas le cas. En fait, je ne peux pas étaler sur la scène une faiblesse humaine, si je n’en ai pas une connaissance directe et personnelle. J’ai dénoncé bien des faiblesses et des tendances brutales, donc je les ai.


Je ne crois pas être plus conscient des miennes que vous tous l’êtes des vôtres. La culpabilité est universelle. Je veux dire un fort sentiment de culpabilité. S’il y a quelque aire de la conscience où l’homme peut s’élever au-dessus de la condition morale qui lui a été imposée à la naissance, et même bien avant la naissance par la nature même de la race, alors je crois qu’elle n’est autre que la volonté de la connaître, de faire face à son existence en lui ; et je crois que, au moins au-dessous du niveau de la conscience, nous y faisons face. D’où les sentiments de culpabilité, d’où les défis agressifs et l’obscure profondeur du désespoir qui hante nos rêves et notre travail créateur, et provoque notre méfiance mutuelle.


* Il suivit une psychanalyse en 1958, année où il écrivit Soudain l’été dernier.


trad. P.Dommergues, in Les USA à la recherche de leur identité

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