Que je vous conte et vous raconte l'histoire d'un homme :

à la fin de la dernière guerre revenant des camps de concentration où il y avait perdu la parole, (il avait de grandes difficultés à s'exprimer).
Un jour ne sachant que faire de sa journée, il accompagna un de ses amis à un cours d'Art Dramatique.
C'était l'école de Monsieur Charles Dullin. C'était la première fois qu'il assistait à un cours de théâtre, où des élèves essayaient d'exprimer avec une certaine impudeur des émotions, des sentiments.
Il s'inscrivit à ce cours et cela fut la première grande difficulté qu'il ait eu à surmonter : il devait apprendre par coeur une scène et la jouer.
Le soir de ce même jour, il alla au Théâtre du Châtelet.
C'était la première fois qu'il allait au théâtre.
C'était «L'Arlésienne» avec une musique de Georges Bizet. Ce fût un émerveillement : les lumières, les décors, les musiques, les comédiennes, les comédiens.
Cette histoire simple le faisait rêver. Alors il acheta le livre et il trouva une scène ou le berger disait son amour à la bergère.
Le lendemain, il ne trouva aucune fille qui lui donne la réplique : son choix n'intéressait personne et surtout son bégaiement, sa difficulté à s'exprimer.
En trouvant personne, il apprit les deux rôles.
Le jour arriva, quand ce fut son tour, la solitude et une peur terrifiante s'emparèrent de lui : cette impossibilité à formuler les mots de cette scène. Un bégaiement insurmontable, les rires qu'il entendait; ce n'était pas des rires de moquerie. C'était vrai, c'était comique.
Il se souvient d'une petite sonnette et du silence, et une voix qui lui demandait de s'approcher : il était en face de Monsieur Dullin qui le considéra un certain temps et lui dit :
d'où viens-tu mon petit ?

Gérard Guillaumat