theatre-contemporain.net artcena.fr

Accueil de « Dopo la battaglia (Après la bataille) »

Dopo la battaglia (Après la bataille)

+ d'infos sur le texte de Pippo Delbono
mise en scène Pippo Delbono

: Entretien avec Pippo Delbono

propos recueillis par Pierre Notte

De quels cauchemars êtes-vous parti pour vous attaquer à ce nouveau spectacle ? De quelle bataille s’agit- il ?


En fait, aujourd’hui le spectacle devrait s’appeler Dans la bataille… Vu tout ce qui se passe ces jours-ci dans mon pays, mais aussi dans le monde, en Tunisie, en Egypte, on dirait qu’on est totalement au coeur de la bataille. Mais c’est peut-être qu’il y a en moi une pensée artistique et spirituelle qui s’impose comme le désir de me pousser au-delà, au-delà du désastre, au-delà des champs de bataille. De penser au recommencement, comme cela s’est passé après les grands conflits, comme cela se passe aussi après les moments de la vie qui nous traversent, après les conflits de l’existence, de l’amour… Je ne sais pas encore très bien de quelle bataille il s’agit, bien sûr il s’agit de celle qui se combat à l’extérieur, mais aussi de cette constante lutte qui se combat en nous, entre l’obscurité et la lumière.


Qu’est-ce que les champs de ruines nous apprennent sur nous-mêmes ? Est-ce que le théâtre, vos tableaux et votre poésie, peuvent changer le monde ?


Il se peut que les désastres soient aussi des bons maîtres, pour nous aider à ouvrir les yeux sur nous-mêmes. Mais pour le faire, il faut avoir le désir de se mettre en crise, de recommencer, d’utiliser ces désastres comme des faits qui ont la capacité de se transformer en de nouveaux points de départ, de renaissance. Cela aussi, c’est mon engagement pour le théâtre, pour la culture, qui en ce moment présent est tellement moribonde dans notre pays. Clouée. Soudain on a beaucoup de mal à voir une possible voie de renouveau et de renaissance. Pour le faire, il faut avoir une pensée de liberté, de foi, de folie, sans peur. Alors on peut imaginer que quelque chose peut renaître de ces ruines. Bien sûr je ne peux pas changer le monde, mais nous pouvons influer sur une très petite partie de tout ça. Et cette partie, à son tour, qui sait, pourra influencer d’autres parties et créer ainsi une chaîne de changements... Mais je crois surtout qu’il est important de chercher à évoluer et à construire des oeuvres à l’intérieur d’un parcours artistique sincère. De chercher une vérité avant tout en soi, et c’est d’ailleurs la tâche la plus difficile, et c’est seulement une fois cette tâche accomplie, que l’on pourra exiger ou demander la vérité aux autres.


Qu’est-ce qui, dans votre trajectoire, dans votre parcours d’artiste, vous a conduit à ce nouveau spectacle ? La colère ?


Peut-être, d’une certaine façon c’est ma mère qui m’a influencé, elle me dit toujours : « Mais Pippo, quand est-ce que tu nous fais un spectacle avec un peu plus d’espoir? » Et moi de répondre : « Mamma, tout ce qui se passe autour de nous ne porte pas beaucoup d’espoir, tu ne trouves pas ? » Ce sont aussi des mouvements de l’âme qui nous poussent vers l’une ou l’autre direction. Faire des spectacles est pour moi comme suivre des parcours de vie, où parfois on se retrouve dans le besoin de la rage, ou dans le besoin de la fuite, dans l’obscurité, dans la lumière, ou entre les deux… On s’enfuit, puis on s’arrête un instant, on sourit, puis on est encore en colère… À chaque création, mes comédiens vivent comme dans un état de grande insécurité et de fragilité. Il n’y a pas une méthode de travail qu’on réitère, qui serait toujours la même… Non, chaque nouveau spectacle signifie un nouveau parcours de recherche, une nouvelle question posée sur la manière de raconter quelque chose. Par exemple, ces deux dernières années, j’ai fait des expériences importantes liées au cinéma, à la musique, à la danse, et tout cela a sûrement influencé le parcours de la création du nouveau spectacle. Et mes acteurs savent que chaque fois, on recommence un peu du tout début. Et ils en ont pris l’habitude, même si en vérité on ne s’habitue jamais facilement à basculer dans une nouvelle création, sans aucune certitude à laquelle s’accrocher ! Tout cela donne une insécurité psychologique, mais cela aussi nous fait sûrement nous sentir toujours plus vivants.


La situation actuelle en Italie est-elle pour vous un frein à la création ou au contraire une sorte de levier de résistance ?


L’Italie est en train de vivre un moment de tristesse et de mort culturelle et sociale, c’est une maladie dont les origines sont lointaines. Tout a commencé dans des temps très anciens. À présent, l’Italie affiche les effets de la dévastation. Et tout est devenu une tragicomédie : la politique, la religion, les sentiments. Bien sûr la télévision a beaucoup contribué à tout cela. D’ailleurs, Pasolini l’avait déjà annoncé : la nouvelle dictature sera celle de la télévision. Et quand on regarde votre télévision en France ! Attention ! C’est pas mal aussi, non ? Bienvenue à vous tous ! C’est pour cela que je crois que dans ces moments là, c’est au théâtre de reprendre une voie de révolte poétique et politique qui peut nous aider à regarder vers nous-mêmes, et vers la communauté dans laquelle on vit, avec des yeux ouverts, et un regard lucide.

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.