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Dogugaeshi

Basil Twist ( Mise en scène )


: Entretien avec Basil Twist

Marie-Odile Cornaz

Le metteur en scène et marionnettiste américain Basil Twist a travaillé avec les plus grands. Natif de San Francisco, New-Yorkais d’adoption, il a notamment créé et manipulé pour le film «Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban» les «Détraqueurs», créatures des ténèbres se nourrissant de la joie humaine.
A l’image de ces spectres, l’art de Basil Twist se compose de bois, de bouts de tissus, de fils ou encore de colorants dans l’eau, formant des figures abstraites qui laissent libre cours à l’imagination des spectateurs. Cet art non-figuratif est pleinement révélé notamment dans son spectacle «Symphonie fantastique».
Il enrichit l’univers des marionnettes d’une dimension plus conceptuelle en recourant au domaine des arts plastiques. Mais pour la pièce «Dogugaeshi» il confronte l’abstraction à la tradition. Interview «décodage» avec l’artiste.

Basil Twist, que signifie «Dogugaeshi»?


Il s’agit d’une technique japonaise simple et très ancienne, qui consiste à ouvrir ou à fermer des portes en faisant glisser sur un système de rails de nombreux panneaux, lentement ou rapidement, par les côtés ou par le haut de la scène. La taille des panneaux varie. Cette technique attise le mystère, l’inattendu, la magie de pouvoir découvrir ce qui se passe derrière les murs.


Comment avez-vous découvert cette tradition?


J’ai visionné un vieux film il y a une dizaine d’années au Festival mondial des théâtres de marionnettes de Charleville-Mézières, en France. Une exposition sur les marionnettes de l’île d’Awaji au Japon était présentée. J’étais captivé par une vidéo en noir et blanc qui montrait cette danse de panneaux. Ils représentaient incontestablement de vraies marionnettes, abstraites et en même temps folkloriques. Cette découverte est restée gravée dans ma mémoire.
De retour à New York, plusieurs années plus tard, la Société japonaise de la ville m’a contacté, car elle désirait que je crée un spectacle en m’inspirant du Pays du Soleil levant.
Le souvenir du film a refait surface et je me suis empressé de commencer mes recherches en me rendant sur l’île d’Awaji. Là, j’ai su que cette technique s’appelle le dogugaeshi et qu’elle était utilisée durant les représentations où des histoires de princesses et de samouraïs étaient racontées. Elle plaisait énormément au peuple, car elle suggérait la découverte des palais aux portes si difficilement franchissables. J’ai appris qu’avec le temps cette pratique s’est quasiment éteinte.
Le destin m’a emmené au seuil d’un musée dédié aux arts traditionnels d’Awaji. Dans la cave de ce musée, sous une épaisse couche de poussière, gisaient de nombreux panneaux détruits que le poids du temps et que l’oubli n’avait visiblement pas épargnés. J’ai alors décidé de créer une pièce en hommage à cette tradition, en reprenant la chronologie de mon histoire.


Un animal étrange à plusieurs queues s’invite sur scène… Que représente-t-il?


Il s’agit d’un renard à neuf queues. Il symbolise un animal fantastique, qui apparaît dans les histoires japonaises en se vantant. Mais j’ai décidé de me le réapproprier, car j’ai vécu une sacrée expérience avec cette peluche! Alors que j’étais dans la cave du musée parmi les décors et les panneaux, le comble du hasard est que je me suis retrouvé nez à nez avec les objets que j’avais vus dans le film en France, des années plus tôt. Je me rappelais d’un lapin, le même que celui en face duquel je me situais à cet instant. Quel moment énorme! Parmi tous ces accessoires, une marionnette était posée sur le tas, et elle dominait le tout. Elle était fabuleuse, je n’en avais jamais vu une aussi belle.
Un renard blanc avec des cheveux longs, des dents en or et neuf queues, il était là, assis sur le décor, comme s’il m’attendait. Le gardien de ce tas de trésor, de cette tradition. Sans aucun doute, il fallait qu’il apparaisse dans mon spectacle. J’en ai donc créé une copie.


Quelle est la place de la musique dans ce spectacle? Qu’apporte-t-elle?


Lorsque j’étais au Japon, j’ai rencontré la virtuose Yumiko Tanaka. Elle joue du shamisen, l’instrument de la marionnette dans ce pays. Une musicienne avec de grands talents contemporains, en plus des traditionnels qui a, par ailleurs, déjà joué au Théâtre Vidy- Lausanne dans la pièce «Hashirigaki» de Heiner Goebbels en 2000. Elle a travaillé avec moi pour créer tout un univers musical afin d’accompagner «Dogugaeshi». Elle joue également du koto, un instrument à la mélodie plus lyrique que celle du shamisen. Elle manipule, elle transforme ces musiques en provoquant des sons étranges. D’autres sonorités, d’autres bruitages; d’autres horizons se font également entendre, notamment des chansons de Broadway ou encore une musique de mon grand-père, qui était chef d’orchestre. Il était aussi un grand amateur de marionnettes, il travaillait avec elles et il a transmis sa passion à ma mère, puis elle à moi. Je voulais honorer mon grand-père en l’incluant ainsi dans ma création. Une partie de mes origines, de ma propre histoire accompagne la culture et la tradition japonaises dans cette pièce.


Dogugaeshi ainsi que vos autres créations plongent les spectateurs dans un autre monde. Cherchez-vous à les divertir avant tout, ou tenez vous également à faire passer un message à travers vos spectacles?


Je ne crée pas seulement du divertissement, il existe une dimension mystérieuse dans les marionnettes. Les spectateurs font face à une figurine qui est sans vie mais ils croient qu’elle existe; ce principe est la base, une caractéristique profonde. Il s’agit d’un aspect plus important que la dimension narrative d’une histoire. Et puis, au-delà de cet aspect, la culture et les traditions perdues sont également évoquées.


Vous êtes parti en tournée avec «Dogugaeshi», notamment au Japon. Qu’en ont pensé les Nippons?


Après avoir produit cette pièce à New York, j’ai tourné aux Etats-Unis et au Japon, près de l’île d’Awaji. Beaucoup de personnes avec lesquelles j’avais discuté durant mes recherches, les employés du musée ainsi que des personnes âgées qui avaient vu du dogugaeshi quand ils étaient enfants sont venus voir mon spectacle. Ils ont apprécié, même s’ils étaient très surpris de voir un Américain à l’origine d’une telle représentation.
Des Japonais m’ont confié que cette pratique constitue une partie de leur mémoire et leur conscience collectives, qu’ils voyaient par exemple souvent dans les publicités des panneaux qui glissent entraînant l’ouverture et la fermeture de portes. Ces images existent partout dans le pays, mais les habitants ne savent plus vraiment l’origine de cette technique. Elle représente le vieux Japon, un souvenir. J’ai été honoré de leur faire redécouvrir une partie de leur propre culture.

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