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Discussion avec DS

mise en scène Raphaëlle Rousseau

: Entretien avec Raphaëlle Rousseau

Propos recueillis par Laure Dautzenberg

Laure Dautzenberg : Comment avez-vous découvert Delphine Seyrig ?


Raphaëlle Rousseau : Presque par hasard. J’avais vu Peau d’âne par exemple, mais je la connaissais sans la connaître. Un jour, sur internet, je suis tombée sur une interview où elle parlait de son métier. Elle disait exactement ce que j’avais besoin et envie d’entendre.
Je me suis demandée comment, au début des années 60, elle avait pu formuler les questions que je me posais des décennies plus tard, et apporter des réponses tellement en avance sur son temps. Cela m’a fascinée ; j’ai eu une sorte de coup de foudre et à partir de là, j’ai tout regardé, tout lu. Mon premier lien avec Delphine Seyrig a donc d’abord été son rapport au métier, à la manière dont elle en parlait, plus que ses rôles au cinéma. C’est une façon de comprendre son art et son monde.
Ensuite bien sûr j’ai vu toute sa filmographie.
Elle est devenue un guide qui m’accompagnait, je me suis mise à me référer à elle. Quand j’étais à l’école du Théâtre National de Bretagne, elle m’accompagnait tellement que j’aimais prendre sa voix. J’arrivais assez naturellement à m’en approcher. J’ai alors commencé à faire de petites tentatives d’incarnation. Je me souviens que Laurent Poitrenaux, qui était directeur de l’école et avec qui je travaillais beaucoup, était familier de ce goût au point qu’il m’avait demandé, alors que j’étais bloquée sur une scène de Marivaux, de la jouer comme si j’étais elle. Pour trouver sa voix, sa prosodie, on est toujours obligé de sourire, c’est physiologique. Cela ouvrait en moi des endroits de jeu différents. C’est devenu comme un outil de travail. J’avais parfois recours à elle pour me trouver moi.
Le spectacle est né de cela. Je n’ai pas inventé ce rapport pour écrire le spectacle, je l’avais déjà, je pratiquais déjà cela. Mais il fallait aussi couper : je n’allais pas passer toute ma vie par Delphine Seyrig pour me trouver moi-même !


L. D. : D’où est venue l’envie de ce spectacle ?


R. R. : C’est né de l’envie que j’avais de parler avec Delphine Seyrig, envie qui n’a jamais pu s’accomplir puisqu’elle a disparu deux ans avant ma naissance. Or le théâtre est le seul endroit où l’on peut réparer ces choses-là. C’est le lieu de la réparation du réel par la fiction. Le spectacle est donc une discussion rêvée d’une heure avec celle à qui j’aurais aimé poser toutes les questions pour commencer ma vie d’actrice. C’est une conversation entre l’idole, l’icône disparue, l’actrice accomplie, le fantôme, et une jeune actrice en train d’éclore.


L. D. : Vous jouez dans le titre sur ses initiales, qui forment le mot déesse à l’oral...


R. R. : Le spectacle raconte l’histoire de deux déconstructions : celle de la déesse que cette jeune actrice, mon avatar, a mise sur un piédestal - je fais littéralement un autel à Delphine Seyrig sur le plateau et le mouvement du spectacle est de le défaire - et celle de Delphine Seyrig elle-même. Avec L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais et les films qui ont suivi, elle a eu l’image d’une vamp éthérée, d’une créature, de la grande dame, etc.
C’est une image qu’elle a construite, dont elle était consciente, dont elle se servait, dont elle était l’autrice, mais dont elle était aussi victime et dont elle voulait se départir. Elle dit quelque chose comme l’image est la pire et la meilleure des choses pour une actrice : elle peut vous figer dans un certain type de rôles mais elle vous permet au moins d’en recevoir. Donc il est très important d’avoir une image pour qu’on puisse vous projeter mais il faut ne pas en être dupe et savoir en jouer, la déjouer, changer de visage, de corps, être assez libre avec ça.
Elle s’est ainsi battue pour et contre son image pendant toute sa carrière. C’est ce qu’elle dit dans le monologue de Baisers volés de François Truffaut : « Je ne suis pas une apparition, je suis une femme ce qui est tout le contraire. Par exemple, ce matin avant de venir ici, je me suis maquillée, je me suis mis de la poudre sur le nez, je me suis fait les yeux, et en traversant Paris je me suis aperçue que toutes les femmes faisaient la même chose, pour le plaisir ou par politesse ».
À partir du moment où elle a commencé à travailler avec des réalisatrices, comme avec Chantal Akerman dans un film comme Jeanne Dielman, elle a déconstruit l’image née de L’année dernière à Marienbad, elle a quitté son image de grande dame pour aller vers la femme concrète, active, militante qu’elle était dans la vie. Elle était sans doute un savant mélange des deux. Elle voulait que les deux figurent dans sa carrière et dans sa filmographie et c’est ce qu’elle a réussi à faire. C’est aussi cela que raconte le spectacle dans sa forme, dans son mouvement : une déconstruction.


L. D. : Discussion avec DS est composé de trois parties. Comment les avez-vous construites ?


R. R : Quand j’ai commencé à écrire ce spectacle, je ne savais pas encore ce que je voulais mais je savais que ce ne serait pas un spectacle biographique, même si bien sûr on y apprend des choses sur Delphine Seyrig.
Ce qui se dit aurait pu s’appliquer à une autre comédienne et je voulais que même si on ne s’intéresse pas du tout aux actrices, on puisse se dire « Si je devais parler une heure avec quelqu’un, qui je convoquerais de nouveau ?... ». Il fallait que ce soit un spectacle sur nos fantômes, l’histoire d’une rencontre entre les morts et les vivants. La première maquette que j’ai faite a ainsi été Delphine en voix fantôme et moi au plateau, mais j’aimais tant l’incarner que je savais que la bascule allait s’opérer.
Cela passe donc d’abord par sa voix alors que je suis sur scène, puis les deux corps disparaissent et restent l’écriture et le texte où Delphine Seyrig exprime littéralement son désir d’avoir un corps, et enfin je lui donne le mien, et c’est elle qui est au plateau. Le spectacle est l’occasion pour DS d’avoir le dernier mot.
D’ailleurs, la figure du fantôme est construite autour de cela : l’âme errante qui hante les vivants parce qu’il y a toujours une notion d’inachevé.
Pour que l’âme puisse se libérer définitivement, quelque chose doit être dit, accompli. Je crois qu’au fond le spectacle veut permettre cela : venir dire SA vérité, « Je ne suis pas une apparition, je suis une femme ». Ainsi, elle se libère elle-même, définitivement. Les trois parties sont donc trois déclinaisons du fantôme, la voix, l’écriture et enfin l’incarnation, dans un théâtre qui est le lieu qui abolit la frontière entre les morts les vivants.


L. D. : C’est pour vous une spécificité du théâtre, cette possibilité d’abolir cette frontière ?


R. R. : C’est une grande croyance des gens du théâtre de penser que les salles sont habitées par des fantômes... Abolir cette frontière et parler aux absents est en tout cas l’une des raisons pour lesquelles le théâtre m’est essentiel.
Ce spectacle est une réflexion sur la manière dont on se construit, en tant que femme, en tant qu’actrice, mais également par rapport aux voix qui nous hantent. Qui parle quand je suis sur un plateau ? Est-ce ma voix ou aussi celle de tout ce qui me traverse, de toutes les références emmagasinées et qui sont propres à chacun·e d’entre nous ? Je sais que dans mon cas Delphine Seyrig était l’une d’entre elle et j’avais besoin de passer par sa voix, non pour l’imiter mais pour me laisser littéralement incarner. J’ai eu besoin de commencer ma vie d’actrice, de créatrice, ainsi. Une réplique du spectacle dit : « C’est peut-être cela finalement « devenir adulte » : ne plus avoir peur de ses fantômes ». Les accueillir pour les faire mourir une seconde fois, et les faire mourir pour de bon.
Cela ne veut pas dire que je ne convoquerai plus jamais Delphine Seyrig quand je doute, quand j’ai peur ou quand je veux trouver une inspiration mais cela signifie que je peux m’en détacher. C’est d’ailleurs ce qui se passe à la fin du spectacle, il y a ce passage entre la voix qui hante et celle qui permet de trouver sa propre voix, de se libérer du fantôme.
Le spectacle est l’expérience pour moi de ce trajet vers la libération, qui est le trajet de toute une vie : accepter de laisser partir les choses. J’ai sans doute commencé mon parcours artistique par ce spectacle parce qu’il traite déjà de l’apprentissage du deuil. C’est, au fond, LA question pour moi et puisque je ne vais pas passer ma vie à ne parler que de ça - soyons réalistes ! - alors autant prendre de l’avance en commençant le plus tôt possible… C’est toujours par la fin que les choses commencent !


L. D. : Ce jeu avec le fantôme n’est jamais grave, il est ludique...


R. R : Je crois que cette distance de l’humour fait partie de mon rapport au monde. Mais il faut être très premier degré pour que tous ensemble, on accepte la convention que Delphine Seyrig est là.
Il faut retrouver la foi de l’enfant qui joue. Lors d’une interview, une journaliste m’a dit « Cela aurait pu ê tre ridicule », or je ne m’étais jamais posé la question ! J’ai toujours cru que c’était possible, qu’il n’y avait aucun problème, je ne voyais pas comment on pouvait ne pas y croire.
On peut faire ce qu’on veut en tant qu’actrice, on peut être toutes les femmes, on peut avoir un et mille visages et c’est cela que j’aime, cette croyance, dure comme fer, qui fait qu’au théâtre on peut dire : je suis Delphine, et elle est là. Maintenant je vois ce risque, mais tout est casse- gueule, toujours, dès qu’on fait quelque chose !


L. D. : Vous avez fait, il y a très longtemps, adolescente, du café-théâtre. Y en a-t-il des traces ici ?


R. R. : On trouve sans doute des traces inconscientes de ces premiers moments. Cela a construit mon rapport au public sur un plateau, la théâtralité que je convoque, qui dialogue directement avec la salle. Je fais sans conventions, il n’y a pas de quatrième mur, le dispositif, le spectacle est dénoncé en permanence : on est là et on ferait comme si il y avait Delphine. Et puis l’amour du costume, de la transformation, la robe à paillette, les perruques, qui font partie de l’attirail et de l’image de la grande dame et de la vamp, de la femme éthérée qu’était Delphine Seyrig dans la plupart de ses films, produit une théâtralité un peu « cabaret » que j’aime particulièrement...


L. D. : Il y a tout un travail d’archives. Comment avez-vous procédé ?


R. R. : Cela a été un travail de petite fourmi, très artisanal : j’ai téléchargé les archives que je trouvais sur internet, j’ai écouté des heures l’émission Radioscopie de Jacques Chancel, des heures d’entretiens. J’ai pressé comme des citrons trois ou quatre longues interviews, en recomposant tout. J’ai découpé le moindre petit « oui », le moindre petit « e », une phrase qui allait avec une autre, et j’ai tout remodelé pour la faire parler à nouveau.
J’ai par ailleurs un rapport particulier à l’archive. Je n’ai jamais effacé les messages vocaux de mes proches par exemple. D’abord, par une forme de paresse mais qui venait, au fond, d’une peur et qui s’est transformée en une sorte de superstition. Maintenant, cela m’est impossible.
C’est cela mon rapport à l’archive. Celui de la collectionneuse finalement. Jacques Derrida, dans le film A Ghost Dance, disait qu’on a l’impression que l’apparition des nouvelles technologies nous éloigne de ce temps un peu romantique des fantômes, de ce moment fin de siècle où l’on faisait tourner les tables, alors que paradoxalement c’est l’inverse : un message sur un répondeur est déjà un fantôme potentiel, qui hante le quotidien, une voix chérie qui, un jour, ne sera plus. On retrouve la présence des fantômes. C’est pour cela que, dans le spectacle, le son est aussi important et que l’on a travaillé à le spatialiser : je voulais littéralement que Delphine Seyrig soit dans les murs, on a donc fait en sorte de la faire se déplacer de cour à jardin, du lointain à la face…

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