theatre-contemporain.net artcena.fr

Dîner en ville

+ d'infos sur le texte de Christine Angot
mise en scène Richard Brunel

: Entretien avec Richard Brunel

Propos recueillis en janvier 2017

Dîner en ville est une commande passée à Christine Angot. Comment est né le projet de collaborer avec elle ?


Dîner en ville n’est pas une commande au sens strict, ce projet est d’abord né d’un désir commun de théâtre. Lors de la 4e édition du festival Ambivalence(s) en 2014, nous avions invité Christine Angot à lire des extraits de La petite foule au côté de Norah Krief. Dans ce roman, elle peint une galerie de portraits incisifs et profonds, une composition d’instantanés, de choses vues, de propos entendus, centrés toujours sur un individu – ou plusieurs, qui interagissent dans un contexte intime ou social. En un trait de caractère, elle fait sentir une émotion, une propension, un instinct, un désarroi, une douleur latente ou fulgurante, cela à travers un geste, une allure, une humeur, un comportement, un mot prononcé ou tu... La théâtralité, la nesse et l’acuité des dialogues de ces portraits ont retenu mon attention. Et à partir de cela, dans nos discussions, a émergé la question de la sociabilité et s’est imposé le motif du dîner en ville. Ce rite, hérité du dîner de cour et transposé à l’aristocratie, a été capté par la haute bourgeoisie, plagié par les nouveaux riches. S’il subsiste aujourd’hui dans sa forme classique de convenance, on voit certaines strates le dynamiter, créer leurs propres codes, inventer de nouveaux snobismes. Mondanité d’apparence futile, le dîner en ville est en fait le théâtre essentiel de la construction des dominations, un des enjeux passionnants de cette aventure inédite pour Christine comme pour moi.


Le dîner en ville est un endroit de construction sociale ?


Lorsque l’on parle d’un « dîner » on peut observer chez les convives le plaisir mondain de recevoir, le partage amical, l’art de la conversation, le goût pour le trait d’esprit. Mais Monique et Michel Pinçon (sociologues au CNRS et auteurs de Sociologie de la bourgeoisie) mettent en relief comment les dîners sont également les coulisses du pouvoir. Et ces coulisses doivent rester cachées pour en assurer la pérennité. Du dîner bourgeois, qui était «une forme de travail social permanent pour prouver que l’on appartient à sa classe» (Pinçon), on est passé à un dîner considéré comme un investissement culturel et professionnel.


Tu parles de pouvoir, de domination, de classe sociale. C’est un sujet important pour toi ?


J’ai souvent abordé dans mes mises en scènes la question de la monstruosité (Roberto Zucco, Les Criminels...). Mais en lisant De l’invisibilité sociale de Guillaume Le Blanc, j’ai pris conscience qu’outre la monstruosité, j’avais déjà exploré dès La Métamorphose de Kafka ou Gaspard de Peter Handke le parcours d’êtres qui devenaient étrangers à eux-mêmes, des hommes invisibles au prise avec des bêtes visibles. De même dans L’Odeur des planches de Samira Sedira, En finir avec Eddy Bellegueule d’Édouard Louis et Certaines n’avaient jamais vues la mer de Julie Otsuka – ma prochaine mise en scène –, les monstres ont laissé la place à une société monstrueuse qui efface et rend invisible.
Dans ces différents textes, les personnages ont subi un déclassement, une relégation, un rejet dont l’invisibilité est comme une in rmation de leurs existences. Une mise en retrait. Donner à voir et à entendre ces personnages sur le plateau est une manière de donner la parole à ceux qui sont de moins en moins audibles et presque devenus des sans voix. Car ne plus être entendu, c’est aussi ne plus être vu. Avec les acteurs, et le jeu, il s’agit alors de mettre à jour une fragilité de la vie ordinaire qui est méprisée et expulsée du cadre social. Dîner en ville s’est inscrit dans cette volonté de mettre en lumière l’invisibilité sociale. Et dans la pièce de Christine, c’est le personnage de Stéphane – un Martiniquais, ingénieur du son au chômage – qui porte cette parole d’invisibilité aux yeux de ceux qui ne veulent pas voir. Car lui voit plus nettement que les autres personnages comment les inégalités, l’arrogance des politiques et le mépris social se sont répandues dans la vie quotidienne et dans les rapports humains.


Le texte est en cours d’écriture. Peux-tu nous dire quelques mots sur le travail de Christine Angot ?


L’oralité est très importante dans son travail d’écrivain. Et ce qui s’entend est stimulant pour œuvrer au théâtre. Elle énonce à voix haute ce qu’elle écrit pour en faire entendre la voix profonde. Ensuite, elle précise, corrige, af ne, réoriente. Elle lit merveilleusement, avec une précision implacable, la clarté des enjeux relationnels et une force émotionnelle tenue. Dans son texte, elle met en jeu ce qui ne se dit pas, ou ce qui ne devrait pas forcément se dire, et parfois ce qui se dit et qui dit autre chose que ce que cela est supposé dire. L’œuvre est alors un palimpseste. Les couches af eurent, s’interpénètrent et se déploient. Au théâtre, son écriture est source de jeu, de double sens, de jubilation !


Propos recueillis en janvier 2017

imprimer en PDF - Télécharger en PDF

Ces fonctionnalités sont réservées aux abonnés
Déjà abonné, Je me connecte Voir un exemple Je m'abonne

Ces documents sont à votre disposition pour un usage privé.
Si vous souhaitez utiliser des contenus, vous devez prendre contact avec la structure ou l'auteur qui a mis à disposition le document pour en vérifier les conditions d'utilisation.