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Des territoires (... et tout sera pardonné ?)

+ d'infos sur le texte de Baptiste Amann
mise en scène Baptiste Amann

: Note d'intention

par Baptiste Amann

Un triple environnement


Dans chacune des pièces, ce qui m’intéresse à mettre en scène, c’est la cohabitation d’un triple environnement.
- Un environnement géographique: Ces zones pavillonnaires qui constituent autant d’angles morts dans notre représentation schématique de la société urbaine, coincée entre deux fantasmes, celui des centre villes et celui des cités HLM.
- Un environnement générationnel: Les personnages sont des trentenaires d’aujourd’hui, c’est à dire issus d’une génération née avec l’effondrement du bloc soviétique et la fin des idéaux, et entrée dans la vie active avec la crise économique de 2008.
- Un environnement révolutionnaire qui cherche le chemin d’une révolution pour le 21ème siècle, mais mal-adroitement, en convoquant des personnages historiques mal dégrossis, dans d’improbables scènes anachroniques, comme pour solliciter le renfort d’une mémoire collective qui peine à se redresser.


Ces trois environnements nourrissent l’interrogation suivante : Quelle Histoire est-on invité à écrire lorsque l’on est, comme les personnages de la pièce, à la fois les héritiers d’un patrimoine sans prestige et les représentants d’une génération que l’on décrit comme désenchantée ?
Pour donner du souffle au projet, cette interrogation se dessine sous les traits d’une fresque, sorte de tragédie contemporaine, présentée sur un support situé à mi-chemin entre la fiction et le récit autobiographique, et dont la coupe géo-logique superposerait trois couches : l’intime, le politique et l’historique.


Une tragédie contemporaine


Dans le premier volet, on retrouvait les os de Condorcet dans le jardin du pavillon. Dans le second volet, Louise Michel faisait irruption dans le salon. Ici, c’est le tribunal militaire d’Alger qui surgit dans un hôpital de banlieue. La veine dramatique de la trilogie Des Territoires, on l’aura compris, n’est pas du côté de la vraisemblance. C’est un théâtre de la profusion, du trop plein, qui déborde parce qu’il résiste à l’injonction de la clarté, de la sagesse, de la synthèse.
De ma formation de comédien, je suis resté marqué par l’étude des tragédies antiques. Notamment par l’Orestie d’Eschyle, cette histoire qui voit le meurtre d’un mari par son épouse, celui d’une mère par son fils, et le jugement de ce fils par les Dieux, avec la naissance de la démocratie. Une précipitation du temps et une accumulation des drames sur fond de destins tragiques et de conflits mythologiques et politiques.
Il y a, toutes proportions gardées, une symétrie lointaine avec l’Orestie, sans toutefois être dans la réécriture : « Les Atrides » ce pourrait être la famille qui habite le pavillon. « Argos » ce pourrait être le quartier dans lequel est implanté ce pavillon. Et enfin les Dieux qui planent au dessus, ce pourrait être l’ombre de l’Histoire qui enveloppe le récit, c’est à dire le personnage historique envisagé comme figure tutélaire.


Et tout sera pardonné?


Dans ce troisième volet, nous quittons le pavillon témoin. La pièce se situe dans le service de réanimation d’un hôpital de banlieue. La trilogie suit le mouvement du deuil. Il m’apparaissait donc important de choisir un lieu de soin pour aborder ce troisième volet qui, après le déni et la colère, aborde l’étape de la réparation.
L’enjeu dramaturgique principal repose sur la prise de décision de Lyn, Samuel et Hafiz quant à l’autorisation d’un don d’organe (le cœur) consécutif à la mort cérébrale de Benjamin, leur frère. Ce choix douloureux intervient dans le contexte de l’accueil par l’hôpital du tournage d’un film sur la guerre d’Algérie. Ce même hôpital est implanté au cœur d’un quartier qui est le théâtre, depuis la veille, de violentes émeutes urbaines (que l'on voyait dans le deuxième volet). Il y a donc une saturation du calendrier, comme s’il n’était pas possible d’être concentré sur une seule chose à la fois. Le monde déborde, s’invite partout et sous toutes les formes, dans le huit clos du drame familial. Cette densité de la narration ainsi que l’aspect kaléidoscopique de l’écriture sont l’identité formelle de la trilogie. Ils permettent d’aborder les sujets traités avec complexité, en organisant entre eux des résonances poétiques plus que des raisonnements idéologiques.


La guerre d’Algérie est un sujet éminemment éruptif. Il catalyse un nombre incalculable de susceptibilités. Aborder le sujet, c’est donc prendre le risque de soulever la polémique. L’historien Guy Pervillé parle même de notre « incapacité à reconstituer une mémoire nationale consensuelle » à propos de l’Algérie. Il était important pour moi de traiter le sujet avec distance. C’est pourquoi l’anachronisme du troisième volet n’en est pas un en réalité mais relève plutôt d’une mise en abîme : une pièce qui parle d’un film qui parle de l’Algérie. Par ce biais là, j’espère pouvoir faire entendre les points de vues divergents de manière moins frontale, avec plus de distance.
Évoquer le réel, mais sans jamais renoncer à la fiction.


Pour réduire l’angle, j’ai choisi le procès de Djamila Bouhired, et ce pour deux raisons. La première c’est que Djamila est devenue à ce moment là, par son impétuosité, son romantisme et son irréductibilité, une incarnation de la révolution algérienne. La seconde c’est parce qu’au regard de la thématique de la réparation, cela occasionne la confrontation de deux lieux « réparateurs » : le tribunal et l’hôpital. Autrement dit le lieu où l’on juge et le lieu où l’on soigne. Les décisions à prendre ce jour là confrontent les mouvements inverses de deux « machines » : arrêter une machine qui maintient la vie d’une part; déclencher une machine qui provoque la mort (guillotine) de l’autre. Il ne s’agit évidemment pas de les mettre sur le même plan moral, mais de s’en servir comme les licences poétiques d’un même motif.


Si je rapproche comme cela les épisodes révolutionnaires de l’histoire de France, et le destin tragique d’une famille d’aujourd’hui, c’est parce que la cellule familiale, à mon sens, concentre à échelle réduite tous les ingrédients qui préparent la guerre civile.

Baptiste Amann

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