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Des ruines ....

mise en scène Thierry Bedard

: Extraits du texte

Sur le temps, je me retourne, cʼest ainsi que je me vois, je suis fatigué dʼespérer, mes mots essaimés tout le long mon espérance, mes combats, je retiens mon souffle de peur de les rendre soupirs, je chuchote, je murmure, et lʼon me félicite de lʼoriginalité de ma langue, « flamboyante », « lyrique », « violente »… je parlais dʼune douleur, de ceux qui y sont encore, dans la douleur, je parlais dʼune révolte, jʼamasse les honneurs pour mʼêtre si bien exprimé…


(Applaudissez !)




Sourire.
Ne pas me souvenir du passé.
Ne pas assener des coups dʼétat à mon présent.
Arrêter de parler de colonisation ou dʼesclavage.
Me regarder en face et arrêter de me prendre pour un blanc.
Sourire.
Surpasser lʼétat naturellement tragique et cruel de mon histoire (sinon choper la mouche tsé-tsé pour oublier tout ça et dormir comme un bon sauvage au pied de mon baobab où ne nichent pas des singes capables de me jeter à la figure leurs noix de coco de merde).
Ne pas me demander comment diantre fichtre merdre des singes ont pu se procurer des noix de coco dans un baobab…
et surtout des noix de coco made in China.
Effacer dʼun coup de fétiche magique les siècles de domination, de massacre et de déportation.
Comme ça…
Fétiche…
Masque…
Gris-gris…
Sourire.
Oublier les assassinats des Lumumba, des Olympio, des Sankara, des Ratsimandrava, des Soilih, oublier Ruben, Ruben Um Nyobe, Mehdi Ben Barka…
Que ces noms pour personne, jʼai dit que ces noms…
Glorifier Mandela.
Mandela.
Mandela.
Mandela.
Ô Digne papa dʼObama.
Sourire.




Sur le silence lʼespace que je me dois dʼinvestir. Sur le silence car je nʼai pas su mʼy prendre au beau milieu de cette indépendance quʼon mʼaurait donnée, sur ces aides quʼon mʼaurait octroyées, sur ces assistances prodiguées. Voyez les mots : donné – don, octroyé –octroi, prodigué –prodige, dʼune sacralité telle qui efface les crimes des ans. Dʼune sacralité que je nʼai pas pu saisir, comment nʼai-je pas su profiter de tout cela ? Jusquʼau don ? Jusquʼà lʼoctroi ? Jusquʼau prodige ? Je nʼai plus quʼà me taire pour ne pas avoir saisi tout cela ! Est-il possible de mʼoffrir plus que des prodiges ?


Que lʼesclavage finalement, que la colonisation finalement, que ces siècles de douleur finalement, étaient peut-être mieux pour moi, moi qui ne saurai jamais me prendre en charge ? Regardez où jʼen suis maintenant… Ruines.


Etrange comme le bourreau de ces siècles, par le miracle du don et du prodige sʼest mué en sauveur impuissant (…)




Pour ne point rajouter à la douleur de lʼOccident, je me dois dʼêtre sans mémoire,
sans mémoire pour rappeler,
sans mémoire pour dire,
sans mémoire pour contester,
sans mémoire pour recréer,
mon passé nʼa pas de bouche,
pas dʼentendement …




Ou alors, crier ensemble, se scandaliser…


Jʼen ai assez de parler, jʼen ai assez dʼévoquer ce que tous savent, assez de faire de ma bouche lʼentrepôt des mots sales charriés des lâchetés. Je voudrais me poser un peu, me tenir loin de la nausée, mais je suis trop près de moi encore, trop près de lʼhumain…


Je le reconnais, nous sommes tous des êtres humains, près de nos vies, près de nos corps, près de nos sangs, près du souffle qui nous éparpille et retenant nos débris par tous nos muscles, nerfs et autres fibres relieuses. Respirer nous éparpille, lʼair qui nous fend et nous traverse, lʼhaleine de lʼautre qui nous pénètre et sa vie qui nous perce…


Nous retenons ce qui nous relie, nous repoussons ce qui nous délie. Nous retenons la chair ferme et la vie pleine, nous repoussons la chair désagrégée et les ruines évidentes. La compassion comme échos de la douleur de lʼautre, une acceptation de ses ruines, le miroir de notre propre fragilité. Mais reconnaître cela, notre fragilité, nous amène aussi à la passion de la vie, à lʼinacceptable mortalité qui nous constitue, inacceptable savoir, inacceptable…




Et, je.


Je suis encore debout. Des paroles figées dans la décrépitude magnifique. Cette simple conscience que la vie est encore érigée dans lʼinstant, quʼimportent les poussières qui tombent de mes ruines, vivre est toujours laisser une part de soi à la mort.


Cʼest de là que jʼécris…


De mes ruines.

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