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Le Moche

mise en scène Annika Weber

: Note d'intention

Le texte Le Moche est généralement perçu comme un texte rapide, un texte de changements brusques et de réparties. Mais pour moi, c’est son traitement du trouble et du vacillement qui en constitue l’axe principal. Nous l’explorons dans le champ de tension entre la recherche de la beauté/pureté et la perte de soi dans le brouhaha omniprésent de notre société du paraître.
Le Moche est une recherche autour de l’identité et de l’image de soi. Il questionne le regard de chacun, l’industrie de l’esthétique, la société de consommation dans un sens plus large, et l’interchangeabilité éventuelle des individus. Une expérience du trouble identitaire, un voyage à travers l’apparence et le pouvoir des mots. Jusqu’où va la parole performative ? A quoi tient l’invention des choses ?


Détail et ralentissement


L’exploration de la lumière constitue un axe important de notre réflexion : Pierre Paolo Pasolini affirme, notamment dans son texte «La disparition des lucioles» (1975), la mort progressive de la perception fine des sensations et des détails dans notre monde, à cause de la grande lumière aveuglante qui engloutit tout : lumière des villes, mais aussi lumière de l’information, de la pollution, de la vitesse et de l’efficacité d’une société mondialisée. Débusquer le détail dans le flot des impressions de nos jours. Donner une place au petit, au minuscule, au presqu’imperceptible, en nous arrêtant sur le moment précis.


Qu’est-ce qui est «beau» au théâtre ? Est-ce que l’oeil du spectateur attend une esthétique particulière dans le dispositif théâtral ou sur scène ? Une certaine «rondeur», une surface agréable pour l’oeil ?


Remettons en question la notion de «beauté», servons-nous du caractère brut des lieux et des espaces, qu’ils soient dédiés au théâtre ou non.


La luciole symbolise ici l’innocence perdue, le désir qui irradie et illumine amis et amants au coeur de la nuit. Mais elle est aussi la métaphore d’une humanité en voie d’extinction. Pire, dans une société qui déifie les gloires clignotantes de la télé et qui «stéréotype» les regards, «il n’existe plus d’êtres humains», assure Pasolini, mais seulement «de singuliers engins» qui se lancent les uns contre les autres.
Nicolas Truong, Le Monde, 4.12.2009


Perception et perte de repères Je cherche à explorer la thématique de la perception à travers l’expérience sensible vécue par le spectateur: Le Moche est ici notamment une recherche sur la beauté, le regard des autres, la perception des choses, l’oeil et l’oreille - il s’agit pour moi de faire vivre la naissance de son propre regard sur les choses et de conscientiser le mécanisme derrière ce regard sur «Autrui», comme disait Sartre dans sa théorie du regard.


Le projet de mise en scène porte donc sur la découverte progressive par le spectateur d’éléments visibles et audibles des personnages, et sur la remise en question des renseignements et convictions que nous inspirent les perceptions de nos sens. Le moment du mouvement des corps dans l’espace et la limite entre clarté et flou des choses jouent un rôle essentiel pour créer un univers inhabituel et toujours légèrement décalé de la «réalité».


Quatre acteurs incarnent neuf personnages, dans une ronde onirique de situations et de tableaux. Ils évoluent à la lumière de bougies et de petites sources maniables depuis le plateau même, et dans un espace fragmenté – ils nous emmènent progressivement dans un univers qui défait la notion de la confiance en la normalité, dans un glissement vers une «inquiétante étrangeté» dont les signes extérieurs sont trompeurs. La perte de repères va de paire avec une confusion progressive des lieux et des personnages.


Mettre le doigt sur le dérapage insidieux de la normalité vers l’onirique. Fragmenter la présence des personnages - et celle des comédiens. Brouiller les pistes. Questionner le rapport entre identité et apparence. Est-ce que le fait de «perdre le visage» aurait d’autres conséquences que la simple perte de la «surface de projection» du regard des autres ? A quoi nous nous fions en étant au monde ? Est-ce que l’unicité existe ?

Annika Weber

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